
Devenir leader de son métier en partant d’un pays qui fait 4 % du PIB mondial n’est pas évident. C’est pourtant ce que promet un éventuel mariage entre Veolia et Suez, deux groupes qui ont construit leur savoir-faire et leur taille mondiale grâce au système français des concessions, écrit le professeur de stratégie Xavier Fontanet. Un exemple qu’il faut reproduire.
Idée somptueuse que celle de Veolia, qui vise la prise de contrôle de Suez en achetant la part d’Engie. Il créerait ainsi un leader mondial de la gestion de l’eau et du traitement des déchets. Engie, de son côté, trouverait ainsi les liquidités lui permettant de développer ses métiers liés à l’énergie. Timing parfait en cette période pour ces métiers situés au coeur de la révolution énergétique et de l’amélioration de notre environnement, métiers qui vont demander d’énormes investissements.
A ce stade, il est utile de rappeler que si ces deux entreprises sont aujourd’hui parmi les leaders mondiaux de la gestion de l’eau, c’est parce que la France a été le premier pays à appliquer aux services de l’eau, il y a plus de cent cinquante ans, un système de concessions. C’est-à-dire un système dans lequel l’Etat ne « fait pas lui-même » mais délègue une de ses activités au privé en contrôlant la qualité de la prestation du concessionnaire par une gestion de contrats soumis régulièrement à appel d’offres. C’était une innovation juridique et conceptuelle à l’époque, elle a permis à la France de donner de l’avance à ses entreprises que l’on retrouve aujourd’hui en tête des classements mondiaux. Ce qui est intéressant dans cette affaire, c’est que ça s’est passé à Lyon en 1853 (d’où la Lyonnaise des Eaux, devenue Suez). L’idée est donc venue d’une région et s’est ensuite déployée dans toute la France, comme quoi les bonnes idées ne viennent pas forcément du centre et l’expérimentation locale peut être un moyen efficace de faire évoluer les choses.
Le développement mondial qui a suivi a été source de progrès pour ces entreprises, parce que, en signant des concessions partout dans le monde, elles ont eu à résoudre toute une série de problèmes nouveaux que leur posaient les clients. Or il n’est pas de meilleur entraînement que de travailler en Chine, au Brésil et de se confronter aux meilleurs mondiaux loin de chez soi. Les difficultés sont l’équivalent des aspérités d’une muraille qu’un grand grimpeur utilise pour progresser. Ces progrès, dont les clients français ont bénéficié, auraient été impossibles si ces entreprises étaient restées des établissements publics français dont la stratégie n’est pas de conquérir le monde.
Devenir leader en partant d’un pays qui fait 4 % du PIB mondial n’est pas évident. Cet exemple montre l’excellence de notre sphère publique (dans le cas qui nous occupe ici, celle de nos ingénieurs des Mines et des Ponts). Il a aussi valeur de symbole et donne le moral quant à nos capacités à nous, Français, de nous débrouiller dans la concurrence mondiale. Il montre enfin l’intérêt qu’il y a à étendre le champ géographique d’organisations dépendant de la sphère publique quand elles sont efficaces.
En cette période ou des changements profonds vont intervenir, il faut s’inspirer de ce cas exemplaire et réfléchir à la possibilité d’européaniser certaines des grandes administrations ou des grands services publics ; ça permettrait de baisser les coûts, d’améliorer les prestations et pourquoi pas, « en même temps », de construire l’Europe.
Pourquoi ne pas lancer l’idée, par exemple, d’apporter France Télévisions à (hypothèse de travail) TF1 ou Bertelsmann, contre des actions du nouvel ensemble et donner à la nouvelle organisation une concession de chaîne publique d’information pour ce qui concerne la France. On gagnerait sur tous les tableaux : création d’un groupe européen puissant, économie pour le budget de l’Etat et qualité de service si les contrats de concession sont bien conçus et bien suivi par la puissance publique. Ce n’est là évidemment qu’un exemple parmi bien d’autres.
La concession est un concept puissant qui permet à l’Etat de se reconcentrer sur ses fonctions essentielles, celles par lesquelles il s’est construit au fil des siècles, celles dont on ne peut sous-traiter l’exécution : la police, la justice, l’armée et les affaires étrangères. Le travail à effectuer en ce moment dans ces domaines est rude et immense, on le voit tous les jours avec les dérapages en matière de sécurité et d’application des règles les plus élémentaires de justice. L’efficacité du domaine régalien est clé si on veut installer la confiance, qui est en dernier ressort la condition du redémarrage de l’économie plus que l’argent lui-même. Le succès de ces expériences de concessions, illustré par nos entreprises d’eau et d’environnement, doit encourager notre Etat à faire confiance à notre sphère privée pour gérer l’économie.
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