Archive | juin, 2018

Les créateurs et les exécuteurs

29 Juin

1024px-les_echos_logo-svgForbes vient de sortir son classement annuel des 100 entreprises les plus innovantes. Sans surprise, 52 américaines, 25 asiatiques, 21 européennes, pas si mal pour l’Europe. Quand on décortique l’Europe, la France place 5 entreprises (Hermès 29e, Dassault Systèmes 48e, Essilor 52e, Sodexo 72e, L’Oréal 94e), le Royaume-Uni 5, le Benelux 6, les autres 6.

Pas si mal pour la France, qui représente 4 % du PIB mondial. Surprise par contre pour l’Allemagne, poumon industriel de l’Europe, seul pays occidental équilibrant ses comptes avec la Chine, qui ne place pas d’entreprise dans ce classement.

N’en tirons pas de conclusion hâtive. Insistons plutôt sur ce que la France et l’Allemagne peuvent s’apporter. Lorsqu’on met ensemble la capacité créative française et la puissance d’exécution des Allemands (comme on l’a fait avec Airbus), le cocktail est détonant. Plus facile à dire qu’à faire !

La créativité et la capacité à réaliser sont des talents contradictoires et difficiles à faire coexister : créer, c’est sortir des règles et des sentiers battus, bien exécuter, c’est savoir tenir une ligne avec discipline et rigueur.

Pourtant, faire travailler ensemble ces talents opposés est le secret des grandes réussites. Cette alliance entre la France et l’Allemagne est essentielle pour que l’Europe se fasse et soit forte face aux Américains et aux Asiatiques. Elle demande des efforts réciproques. Les Allemands doivent passer sur nos défauts pour bénéficier de nos qualités. Les Français doivent comprendre que les discours ne suffisent pas et qu’ils ne seront crédibles auprès des Allemands que lorsqu’ils seront passés par la case réforme et quand leurs comptes publics seront présentables.

Les Français sont capables de grandes choses, mais il leur faut de grands desseins. S’ils comprennent que leur propre réforme est une pierre angulaire de la construction européenne et que celle-ci peut peser sur le monde, il est alors possible qu’ils s’y mettent enfin !

Solidarité exigeante – chronique aux Echos

22 Juin

1024px-les_echos_logo-svg

De nombreux entrepreneurs repoussent actuellement des chantierscar ils n’arrivent pas à recruter. On nous explique que c’est un problème « d’adéquation de l’offre à la demande », il n’empêche qu’ils s’entendent souvent dire : « Je veux bien retravailler mais il faut que j’y gagne par rapport au chômage ! » Ou encore : « d’accord mais j’attends la fin de mes indemnités ! »

La solidarité c’est le fondement de notre société, elle est donc sacrée mais, pour qu’elle soit durable, il faut qu’elle suscite des comportements responsables.

D’un point de vue plus général, il ne faut pas non plus qu’elle pénalise le coût des entreprises, en concurrence avec leurs collègues étrangères. Avec 32 % de part de PIB consacrés à la sphère sociale, nous sommes au top mondial en termes de coûts pour un service rendu inférieur à ce qu’on trouve dans des pays comme l’Allemagne ou cette part est de 24 %. Ce surcoût explique en partie les déficits commerciaux (l’Allemagne a une balance commerciale excédentaire de 8 % du PIB, celle de la France est déficitaire de 1,7 %). Le potentiel des entreprises, c’est-à-dire la base sur laquelle s’appuient les cotisations, s’en trouve mécaniquement réduit !

Fiscalité au taquet, Etat aux limites de l’endettement, entreprises fragilisées… Il faut baisser ces dépenses. pour bien le faire, une prise de conscience s’impose. Chacun doit comprendre : un, qu’il n’y a plus de sou ; deux, que l’argent ne tombe pas du ciel ; trois, qu’en face de chaque droit il faut mettre un devoir !

Plutôt que proclamer « la France fait le choix d’un chômage bien rémunéré ! », il faut dire « mieux vaux un job pas tout à fait satisfaisant que l’horreur d’un chômage même bien payé à la maison ».

La situation ne sera pas idéale, mais au moins les gens seront socialisés. Pas question de remettre en cause le principe de solidarité, mais en ces temps difficiles elle doit faire appel au sens de la responsabilité de chacun et, osons le dire, contenir une dose certaine d’exigence.

 

Des promesses sous les mers – Chronique aux Echos

14 Juin

1024px-les_echos_logo-svg

Pour se faire entendre aujourd’hui, il faut soit être gros comme la Chine et l’Amérique, soit, si on est petit, être performant économiquement comme la Suisse ou Singapour. Reconnaissons que nous sommes ni l’un ni l’autre, et que le meilleur moyen de se faire entendre est de s’être réformé.

Il est pourtant un terrain où la France peut jouer un rôle important, celui des terres rares. Elles sont en pleine explosion avec la révolution énergétique qui crée une forte demande pour ces minéraux utilisés dans les moteurs électriques, les batteries ou les alternateurs d’éoliennes. Les fans des nouvelles énergies sont très silencieux sur les dégâts que crée, chez les producteurs, l’extraction de ces minerais.

Autre réalité, qui n’est pas un détail, 60 % du marché est aujourd’hui entre les mains des Chinois. Ne nous faisons aucune illusion, ceux-ci, qui ont le sens du long terme, mènent depuis vingt-cinq ans une stratégie très judicieuse tout en payant le prix de grands dommages écologiques dans certaines de leurs régions.

La France a en main une carte maîtresse dont on ne parle pas assez : les nodules polymétalliques, déposés à 6.000 mètres de profondeur, qui ont pour propriété de concentrer ces métaux précieux. La France détient en effet le deuxième territoire maritime mondial qui en recèle d’énormes quantités. Elle pourrait faire d’une pierre trois coups : créer une industrie nouvelle, soulager les douleurs de la terre et d’un grand nombre d’habitants, peser dans le jeu qui s’annonce. Elle dispose, avec Total et Bourbon, de deux entreprises sachant travailler dans les grandes profondeurs ; sans compter ses armements de pêche capable de concevoir les méthodes de chalutage adéquates et le BRGM.

Le génie français est adapté à ces challenges compliqués et multitechniques ; voilà un projet qu’on pourrait lancer. Il ne demandera pas d’argent à l’État, il s’agira simplement pour lui d’assurer un environnement juridique et fiscal favorable au déploiement de cette filière prometteuse.

Une leçon de Jakarta

9 Juin

Sans vouloir jeter la pierre, le plan pour les banlieues n’a pas généré l’enthousiasme que le sujet mérite. Il manquait de projets concrets capables de mobiliser l’énergie. Il y a pourtant, à l’étranger, des idées qui ont fait leurs preuves et qu’il suffit de reprendre. Par exemple, en Indonésie, où se produit une transformation stupéfiante de la distribution du frais dans les grandes villes, menée par une des plus brillantes licornes mondiales, Go-Jek. Tout a débuté en 2010. Son fondateur, Nadiem Makarim, a voulu donner une couverture sociale et un statut d’entrepreneur à une poignée de jeunes de Jakarta. Ceux-ci étaient employés dans des conditions très dures (un euphémisme !) par des propriétaires détenant les parcs de motos. Le coup de génie fut d’anticiper la révolution qu’Internet allait provoquer dans le transport des personnes, bien sûr, mais aussi dans la restauration.

La restauration hors foyer (publique et collective) assure aujourd’hui 50 % des repas. Il n’est pas difficile de prévoir que, avec les embouteillages, les courses de nourriture fraîche alimentant les autres 50 % vont devenir plus difficiles. La livraison de repas avec des deux-roues (adaptés à cette fonction et à l’encombrement des rues) va prendre une part significative de ce gigantesque marché.

L’entreprise, dont la plate-forme numérique n’a rien à envier à celle d’Uber, emploie sur Jakarta 350.000 livreurs-entrepreneurs et 70.000 cuisiniers. Elle représente de 10 % à 20 % des repas hors domicile.

Jakarta est plus grande que Paris, mais il est évident que faire venir Go-Jek en France aura un impact plus important que tout le plan banlieue. Cela suppose des évolutions législatives permettant l’utilisation des deux-roues, mais ne coûtera pas un centime d’argent public. On aura alors démontré (une fois de plus !) que mieux vaut un bon projet qui attire naturellement les capitaux que déverser de l’argent (fût-il d’Etat) sur des propositions vagues et mal définies.