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«La France forme trop de technocrates, mais pas assez de soudeurs»

1 Nov

Interview de Ronan Planchon paru dans le Figaro le 24/10/2022

ENTRETIEN – La pénurie de soudeurs dans les centrales nucléaires françaises témoigne des carences de notre système, qui ne valorise que les métiers intellectuels, argumente l’ex-PDG du groupe Essilor.

LE FIGARO. – En manque de main-d’œuvre, le groupe EDF a fait venir une centaine de soudeurs de la société américaine Westinghouse pour intervenir sur ses problèmes de corrosion. Comment en sommes-nous arrivés là?

Xavier FONTANET. – On comprend la réaction d’EDF quand on sait ce que coûte chaque mois de retard de fonctionnement d’une centrale nucléaire. Mais, si nous en sommes arrivés là, c’est pour deux raisons. D’abord, à cause de la décision européenne de couper les métiers de l’électricité en trois (la production, la distribution longue distance et la distribution finale) pour favoriser la concurrence, EDF a dû subventionner l’entrée de concurrents en production (éolien et solaire) et en distribution locale, en leur vendant sa production à prix cassés.

Ensuite, l’État, qui est au capital de l’entreprise, a sacrifié la stratégie nucléaire d’EDF pour obtenir les voix des écologistes. On l’a vu avec l’arrêt de la centrale nucléaire de Fessenheim. L’entreprise n’a pas investi dans des équipes françaises d’entretien des centrales nucléaires et la fine fleur des détenteurs de notre savoir-faire, qui existe, s’est envolée en Finlande et en Angleterre pour travailler sur deux gros chantiers d’export. Aujourd’hui, on semble avoir compris que le nucléaire est incontournable, mais le chemin est encore long pour rattraper les erreurs passées.

À court terme, nous devons faire face à un manque de plombiers et de soudeurs. Pour régler ce problème, il faut revenir aux bases de notre système éducatif, qui favorise la filière dite générale (où les disciplines enseignées sont abstraites) au détriment de la filière technique (où on apprend à manier des outils et travailler la matière).

En dévalorisant les filières techniques, courtes, notre système éducatif a-t-il créé une nouvelle aristocratie fondée sur les diplômes?

En tout cas, fondée sur les diplômes de filière générale. Nous vivons en France avec une idée fausse selon laquelle tout se joue à 20 ans, lors de certains examens prestigieux. Tout le monde sait que ce n’est pas parce qu’on a réussi un examen, fût-il prestigieux, qu’on est capable toute sa vie de prendre les bonnes décisions. Napoléon disait que les batailles faisaient les généraux.

Confier au seul diplôme le fait de diriger une carrière est un coup de frein à l’ascenseur social. Le philosophe Michael Sandel a écrit un livre passionnant sur la tyrannie résultant de la place excessive donnée aux diplômes aux États-Unis. Il y voit l’explication de la frustration de la classe moyenne américaine qui vit (mal) des métiers d’ouvriers et des métiers manuels. C’est une des raisons du succès de Trump, qui a réussi à fédérer cette frustration. Ce problème ne se limite donc pas à la France.

La dévaluation académique a-t-elle nivelé vers le bas nos «élites»?

On peut même parler de «pseudo»-élite. Il faut des philosophes et des sociologues bien formés, mais il ne faut pas que leur nombre soit en décalage avec les besoins de la société, ce qui est le cas actuellement. Voilà pourquoi il est urgent de faire évoluer notre système éducatif afin qu’il soit capable de développer dans notre société le concept d’intelligence de la main.

Comment redonner aux enseignements techniques la place qu’ils méritent?

Il faut d’abord changer les mentalités. Nous sommes un peuple qui aime les idées plus que la matière ; pour faire aimer les métiers manuels, inspirons-nous par exemple du Japon et de la philosophie de la vie pratiquée sur l’île d’Okinawa (l’ikigai). On accorde dans cette région beaucoup plus d’importance à un ouvrier qui réalise une belle pièce avec sa machine-outil qu’à un bureaucrate qui produit des circulaires obscures, fut-il très haut placé. La qualité de ce qu’on produit compte beaucoup plus que la nature du travail.

Un métier en apparence simple, quand il est pratiqué à un niveau de technicité élevé, permet à des ingénieurs sortis de « petites écoles » d’interagir avec les chercheurs parmi les plus prestigieux »

J’ai notamment travaillé au sein du groupe Essilor, numéro un mondial de l’optique ophtalmique. Cette entreprise produit 1 milliard de verres par an et dépose, sur chacun d’entre eux, plusieurs couches minces pour les durcir, éviter les reflets inesthétiques ou néfastes pour la santé. On parle de plusieurs milliards de couches de vernis déposées par an ; les machines qui font le travail sont conçues par l’entreprise et se révèlent de petites merveilles qui vont jusqu’à défier la science. Des professeurs du MIT (université de technologie du Massachusetts, NDLR) faisaient le déplacement jusqu’en France pour comprendre comment nous avions conçu les pinces qui tenaient les verres et permettaient d’avoir des vernis parfaits sans les effets de bord. Cette anecdote montre qu’un métier en apparence simple, quand il est pratiqué à un niveau de technicité élevé, permet à des ingénieurs sortis de «petites écoles» d’interagir avec les chercheurs parmi les plus prestigieux.

En somme, il s’agit d’expliquer que la technique permet de faire appel à tous les ressorts de l’intelligence et d’élever la filière technique au niveau de la filière générale…

Il faut bousculer notre système, dans lequel la filière technique est une punition donnée à ceux qui ont échoué dans la filière générale. Il faut orienter les élèves plus tôt, comme on le fait en Suisse, aux Pays-Bas et en Allemagne et être bien conscient qu’en Suisse (dont le PIB par tête est 2,5 fois supérieur au nôtre) les deux tiers des jeunes choisissent la filière technologique, c’est-à-dire l’apprentissage. L’entrée dans la vie par la technique n’y est pas le résultat d’un échec dans la filière générale, mais un choix délibéré fait à 12 ans. Beaucoup de ceux qui ont une formation initiale technique s’intéresseront à la dimension conceptuelle ou scientifique plus tard. En Suisse, les va-et-vient entre filière générale et filière technique sont systématiquement facilités.

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Interview Métier pour l’ACTU, le journal d’actualité pour les adolescents

25 Août

Et voici le dernier article, entretien 3/3

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Suisse : une Constitution qui devrait inspirer les Français

3 Mai

Grâce à sa Constitution, la Suisse jouit d’une situation économique, politique et sociale bien meilleure que celle de la France.

À l’époque où très nombreux sont ceux qui se posent des questions sur le fonctionnement de notre démocratie on peut suggérer de regarder comment elle fonctionne ailleurs… même si cette approche va se briser sur l’argument très connu « À quoi bon ? Chez nous c’est différent ! »

C’est bien dommage car l’une des façons les plus simples de réfléchir c’est d’aller voir les pays où ça fonctionne, exercice d’autant plus facile que l’un de ceux qui marche le mieux au monde a des frontières communes avec le nôtre. Il s’agit de la Suisse.

La vigueur de l’économie suisse

La Suisse est le dernier pays où on peut s’attendre à voir des Gilets jaunes sur les ronds-points. L’une des raisons c’est que ce pays fonctionne formidablement bien sur le plan économique et nous a complètement dépassés depuis 50 ans.

Il y a 50 ans, à la mort du président Pompidou, nous avions le même PIB par tête que la Suisse qui est aujourd’hui pratiquement 2,5 fois le nôtre ; le pays s’est endetté, passant de 30 % à 120 % du PIB, alors que la Suisse est restée à 30 % ; elle a des excédents budgétaires et commerciaux, la France a de forts déficits ; l’écart est le plus impressionnant pour le chômage. Il est un cancer pour la société et si pour un pays il y avait un capteur synthétique de l’efficacité du système social, c’est bien lui !

Il est en Suisse de 2,4 %, soit le tiers du chômage français ; en fait le chômage est négatif si on tient compte des frontaliers qui viennent y travailler quotidiennement. Les seuls Français sont 180 000, soit 3,6 % de la population active !

On terminera la comparaison en faisant remarquer que trois des cinq plus grandes entreprises européennes sont suisses alors que ce pays ne représente que 1,5 % de la population du continent européen.

D’où peut donc venir cette énorme différence ?

De l’avis de tous ceux qui ont voyagé dans le monde entier et réfléchi sur le sujet la raison est… la Constitution suisse.

Le rôle de la Constitution suisse

En Suisse, l’État se concentre uniquement sur la défense, la politique étrangère et la monnaie. Les fonctions régaliennes sont décentralisées au niveau des cantons, inclus l’enseignement et la santé. Le troisième étage c’est la ville ; les communes suisses sont en moyenne trois fois plus grandes que les nôtres et le concept d’intercommunalité n’existe tout simplement pas.

Les activités régaliennes représentent en Suisse 20 % du PIB contre 25 % en France. C’est la preuve que l’effet d’échelle ne joue absolument pas dans le domaine régalien, de petites structures pouvant être beaucoup plus efficaces que les grandes.

L’une des raisons de la compétitivité de la sphère publique est la concurrence qui règne entre cantons. Le canton collecte les impôts et paye lui-même directement sa fonction publique, il a son propre compte d’exploitation et son bilan. Les cantons jouent entre eux une saine concurrence qui n’échappe ni aux citoyens ni aux entreprises. Les citoyens suisses sont convaincus que c’est elle qui permet de contrôler les coûts et d’assurer l’excellence opérationnelle.

Le deuxième domaine à étudier de près est l’éducation : les universités sont cantonales, ce qui ne les empêche pas d’être au top mondial. Il est clair que là aussi la concurrence entre cantons joue à fond. Mais la caractéristique originale du système c’est l’apprentissage dit dual, autrement dit en entreprise, vers lequel se dirigent deux enfants sur trois à la fin de la scolarité obligatoire. Pour les Suisses, il s’agit de la vraie filière d’excellence.

Chaque canton dispose de sa propre Constitution et de son Parlement (de 50 à deux 250 députés ayant la caractéristique unique de garder leur travail et de consacrer une partie de leur temps (pour lequel ils sont payés) au Parlement local. Seuls les fonctionnaires sont obligés de choisir entre leur mandat et leur poste dans la fonction publique.

En pratique, il n’y a pas de fonctionnaires au Parlement. Les Suisses voient un énorme avantage à ne pas avoir de politiciens de métier, ils pensent que cela permet de mettre en poste des personnes qui connaissent le terrain, ce qui force à la promulgation de lois simples et compréhensibles par tout un chacun. Plus généralement, les Suisses valorisent l’engagement milicien, il est à leurs yeux un service que le citoyen rend à la société. Les citoyens sont réputés responsables et prennent eux-mêmes les décisions qui gouvernent leur vie quotidienne. Ce n’est qu’en dernier recours que l’on se tourne vers une autorité supérieure. L’un des mots-clés pour décoder la Suisse est la subsidiarité.

L’autre mot clé est le consensus. On demande aux députés de prendre de la distance par rapport à leur parti et leur responsabilité consiste à faire tourner le Parlement en parvenant à des compromis intelligents avec leurs concurrents politiques.

La souplesse du système suisse

Dans le domaine social les différences sont fortes également : le coût de la sphère sociale en Suisse est de 20 % du PIB contre 32 % en France ; l’une des raisons est le recours à des assurances privées et à des retraites par capitalisation. L’autre raison est un droit du travail dont le code ne comporte pas plus de 30 pages. Un employeur n’a pas à justifier un licenciement, il doit simplement payer l’indemnité prévue par la loi qui est d’un mois de salaire par année d’ancienneté, le tout limité à 24 mois. Il va sans dire qu’un licenciement n’est jamais un drame en Suisse, car les salariés se recasent instantanément dans un pays de plein emploi.

Il faut évidemment évoquer la pratique du référendum populaire aussi bien au niveau fédéral qu’au niveau du canton et même de la ville. Le système est huilé et rappelle en permanence que le président c’est le citoyen. Nous avons là un modèle de démocratie participative.

Les immigrés y sont beaucoup plus nombreux qu’en France mais ils ne rencontrent en rien nos problèmes. Nous serions bien inspirés de les imiter, ils ne recherchent pas une assimilation mais une intégration. Le processus de naturalisation dure 10 ans et permet de vérifier que la connaissance des langues est à un niveau suffisant, que le niveau d’éducation permet au candidat de se débrouiller dans un pays sophistiqué et qu’il existe suffisamment de preuves d’intégration dans son environnement local.

PS : un article ne peut que donner l’envie de creuser le sujet. Pour ceux qui sont intéressés on peut recommander le chapitre sur la Suisse de « Pourquoi pas nous ? ». Pour ceux qui veulent aller au fond des choses il est impératif de lire Le modèle Suisse de François Garçon.

XAVIER FONTANET

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L’âge de la retraite à 65 ans, un minimum ?

16 Avr

Pour l’ancien chef d’entreprise et professeur de stratégie Xavier Fontanet, la réforme de la retraite est rendue nécessaire par l’enflure des coûts de la sphère publique et de son endettement.

La réforme de la retraite ne peut plus se penser aujourd’hui en dehors d’une politique de réduction des dépenses publiques et sociales visant à donner de la place aux dépenses militaires et redonner de la compétitivité à notre économie, plombée par une sphère publique et sociale bien plus coûteuse que celle de nos voisins. Les dépenses de retraite sont de très loin la première dépense publique avec 14% du PIB : sept fois les dépenses consacrées à notre armée ! En 1983, le président Mitterrand a pris deux décisions très lourdes : la première a été d’avancer l’âge de la retraite à 60 ans ; la deuxième de s’appuyer sur un système « 100% répartition ». Deux erreurs funestes qui se sont cumulées et qui ont très grandement affaibli la compétitivité des entreprises françaises, parce que tout le monde oublie que les charges sociales entrent dans les prix de revient.

Une erreur colossale

Sur la nécessité d’avoir un équilibre entre les cotisants et les pensionnés, les chiffres sont connus mais ce n’est pas inutile de les rappeler : l’espérance de vie était de 75 ans en 1983, elle est aujourd’hui de 83 ans ; quand le nombre des cotisants à l’époque était de quatre actifs par pensionné, il est aujourd’hui de 1,4, soit dans un rapport de 1 à 3.  La productivité du travail a certes augmenté, mais de moins de 1% l’an : ayant progressé de 50% en 40 ans, le système est déséquilibré. La deuxième décision tout aussi importante a été le choix de la répartition. Il faut rappeler que le CAC 40, à l’image de tous les marchés financiers mondiaux, a vu sa capitalisation multipliée par 13. La preuve la plus flagrante de l’erreur consistant à se reposer sur la répartition est donnée par le poids des dépenses consacrée à la retraite dans les pays qui ont parié sur la capitalisation comme la Nouvelle-Zélande ou la Suisse, où il est de 7%. Cet écart désavantage les entreprises qui exportent.

L’erreur de François Mitterrand et de ceux qui l’ont conseillé est donc colossale. Retarder l’âge de départ à la retraite serait une mesure extraordinairement efficace, qui réduirait le nombre des pensionnés tout en augmentant celui des cotisants. L’évolution en ce sens peut être très rapide : la plupart des pays européens ont repoussé l’âge de départ à 65 ans voire 67 ans.

Pas de solidarité sans exigence

Cela étant dit, on ne peut pas parler sérieusement de la retraite sans évoquer l’actionnariat salarié. Un calcul très simple que chacun peut faire avec un tableur démontre que si l’on met chaque mois 7,5% de son salaire de côté pour le placer sur les marchés financiers ou dans son entreprise, on se constitue au bout de quarante-cinq ans (avec une rentabilité de 5%) un capital qui permet de doubler sa retraite. Il suffit de regarder la situation de ceux qui partent à la retraite dans les entreprises qui pratiquent l’actionnariat salarié depuis cinquante ans pour s’en persuader. La haute fonction publique a par ailleurs une partie de sa retraite capitalisée dans le système « Prefon », qui fonctionne très bien, avec trente ans d’expérience.

Mais pour que ces changements se passent bien, il faut revenir au postulat de base, corroboré par les expatriés qui ont pu assister dans les pays où ils travaillaient aux réformes de retraite drastiques, comme au Canada, en Nouvelle-Zélande ou en Allemagne. La réussite a toujours reposé sur la capacité des dirigeants à expliquer à la population la nécessité d’une réforme due à l’enflure des coûts de la sphère publique et de son endettement. Ces mesures passeront d’autant plus facilement que nos concitoyens seront convaincus que la solidarité, qui est le ciment de la société, n’est pas incompatible avec un certain niveau d’exigence. Les événements actuels nous montrent que nous ne sommes pas à plaindre, et que défendre notre mode de vie mérite bien de sortir de notre confort.

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Économie : le modèle occidental de l’épargne investie

3 Avr

Le conflit ouvert entre les démocraties occidentales et la Fédération de Russie est aussi celui de deux modèles économiques. Pour l’ancien chef d’entreprise Xavier Fontanet, l’économie de marché des pays de l’Ouest repose sur l’utilité sociale de l’épargne investie.

L’agression caractérisée de l’Ukraine par la Russie nous permet de mettre en évidence une confrontation entre deux visions du monde et doit nous amener à réfléchir aux fondements de notre société, notamment s’agissant de l’économie. L’Europe, les Amériques, le Japon, la Corée, Taïwan, l’Inde font confiance au marché, à la libre concurrence, à l’initiative individuelle et à la détention privée du capital pour faire vivre leurs économies. Ces pays sont des démocraties : elles sont constamment animées par des débats visant à remettre en cause différents aspects de leur fonctionnement. 

La possession du capital

S’agissant de l’économie, les débats les plus fréquents portent sur la légitimité de la possession du capital, sur son utilité sociale et les risques que fait courir à la société une concentration excessive de sa détention. L’activisme de certains contempteurs des inégalités observées en Occident prête aujourd’hui à sourire quand on découvre les fortunes des oligarques russes et leur rapport au PIB du pays (plus de 60 % du PIB russe en 2000 selon une estimation de la Banque mondiale ). Il est très difficile d’avoir les vrais chiffres mais tout porte à penser que les concentrations dans ce pays sont bien plus importantes que ce qui existe dans les économies de marché. Ces fortunes ont d’ailleurs été constituées en majorité par des détournements effectués à la fin des années Eltsine. C’est en outre un bel exemple de rentes, car les connexions politiques auxquelles elles ont été associées empêchent de faire fonctionner le mécanisme régulateur de la concurrence.

Une autre différence essentielle porte sur l’origine de la richesse : en Europe ou en Amérique, c’est la créativité des détenteurs de capitaux qui ont créé de nouveaux métiers ou la justesse de leurs investissements quand il s’est agi de prendre le leadership dans des métiers existants. La richesse est toujours passée par la « case risque » et elle est constamment remise en cause, car le numéro un est toujours concurrencé par l’ensemble de sa profession. Même si tout est loin d’être parfait en Occident, on peut aussi rappeler que son PIB par tête est quintuple de celui des Russes qui sont pourtant détenteurs de matière premières précieuses, ce qui n’est pas le cas de l’Europe.

L’utilité sociale du capital

Il faut aller plus loin et expliquer la dimension sociale du capital en économie de marché. Pour cela il faut faire œuvre de pédagogie et rappeler certains mécanismes économiques. Une règle peu expliquée est le concept de rotation d’actifs : en clair, si vous voulez produire 1 million de voitures, il vous faut 5 milliards d’euros d’investissement ; pour produire 2 millions de voitures il en faut le double, soit 10. Le rapport entre activité et investissement est une constante ; investissement, activité et emploi sont donc irrémédiablement liés. L’argent ne tombant pas du ciel, il vient forcément d’une épargne qui a permis de constituer le capital initial, le résultat réinvesti l’augmentant par la suite afin de permettre à l’entreprise de grandir et d’embaucher. La rentabilité des entreprises conditionne la santé de toute société plongée dans une économie de marché. Le capital est une épargne accumulée et constamment mise à risque.

Une épargne investie

La vérité est que l’utilité sociale du capital est considérable, ce que les Allemands ont parfaitement compris depuis vingt ans avec la fameuse phrase du chancelier Helmut Schmidt, déjà évoquée ici : « Les profits d’aujourd’hui sont l’investissement de demain et l’emploi d’après-demain. » En France, les capitaux propres des 3 millions d’entreprises portent 22 millions d’emplois et leurs familles ; par le biais de leurs impôts, les entreprises financent la fonction publique, dont la mission est de créer le cadre à l’intérieur duquel l’activité économique peut fonctionner de façon aussi satisfaisante que possible. Nos entreprises sont donc des piliers de la société, on ne le rappellera jamais assez. Dans ce monde concurrentiel, le rôle du capital est central, même s’il est mal accepté, alors qu’il ne peut se comprendre sans référence au concept de destination universelle des biens. Il est regrettable que les mots aient été déformés voire détruits. S’il fallait un vocabulaire plus proche de la réalité, plutôt que d’utiliser le mot « capital » qui a tendance à trop échauffer les esprits, pourquoi ne pas parler d’ « épargne investie » ?

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Économie : pourquoi ne pas s’inspirer des pays champions ?

24 Fév

Chaque semaine, le professeur de stratégie Xavier Fontanet analyse l’évolution de la vie économique et des affaires. Dubitatif sur les promesses de campagne des candidats à l’élection présidentielle, il se demande pourquoi nul d’entre eux ne cherche à s’inspirer des politiques économiques des pays voisins de la France.

Tous les candidats à l’élection présidentielle promettent d’augmenter les salaires et ou de donner des primes pour alléger les difficultés matérielles de bon nombre de nos concitoyens. Nous sommes donc dans le très court terme alors qu’une période électorale, surtout l’élection d’un président de la République, devrait être un moment fort où l’on se pose des questions portant sur la longue durée et sur les principes sous-tendant les politiques. Prenons donc un peu de recul, et cherchons à comprendre pourquoi un très grand nombre de pays européens ne connaît pas ce genre de promesses dans leurs campagnes électorales.

L’exemple de la Suisse

Prenons un cas d’école pour réfléchir, un pays ou le risque d’avoir des révoltes type Gilets jaunes est quasiment nul, un pays qui partage une frontière avec nous et qui fait travailler bon nombre de nos compatriotes : la Suisse. En 1973, la France et la Suisse sont au septième rang dans le classement mondial en PIB par tête avec le même chiffre : 5.500 USD. Les deux sont en équilibre budgétaire et extérieur, leurs dettes s’élèvent à 20% du PIB pour la France et 32% pour la Suisse. 

La France est en déficit chronique en termes de budget et de commerce extérieur, sa dette est passée de 20% à 115% du PIB. Faites-vous même un petit calcul sur un dos d’enveloppe, l’augmentation de la dette publique, c’est environ trois ans de salaire pour chaque français employé

En 2021, la Suisse garde son rang avec un PIB par tête de 87.000 USD. La France est au 38e rang avec 39.000 USD, l’une des plus jolies dégringolades du classement. La Suisse est en excédent commercial et budgétaire, sa dette a chuté de 32% à 26%. La France est en déficit chronique en termes de budget et de commerce extérieur, sa dette est passée de 20% à 115% du PIB. Faites-vous même un petit calcul sur un dos d’enveloppe, l’augmentation de la dette publique, c’est environ trois ans de salaire pour chaque français employé : on ne parle pas de petits chiffres. Cette dégringolade n’est évidemment pas étrangère aux difficultés d’une grande partie de nos concitoyens et plutôt que chercher des astuces permettant de monter les salaires cette année, il serait plus judicieux de chercher à comprendre l’origine du déclin.

La fin de l’équilibre budgétaire

1973 est l’année de la hausse du pétrole, mais pour les Français, cela fut aussi un changement de génération d’hommes politiques. Valéry Giscard d’Estaing prend le manche après quinze ans de gaullisme, mettant sa jeunesse en avant. Le changement le plus important, dont on n’a peut-être pas assez discuté, est celui de notre philosophie économique : brièvement, nous sommes passés de Jacques Rueff (+1976) à John Maynard Keynes (+1946) sous l’influence de Lionel Stoléru (+2016), un des proches de VGE. De Gaulle ne voulait pas d’un État qui dépasse 30% du PIB, affirmant qu’au-delà de ce chiffre on entrait en socialisme ; il voulait des budgets en équilibre pour garder la crédibilité de la parole française à l’étranger.

Keynes a donné une justification conceptuelle au déficit budgétaire disant que celui-ci activait l’économie. Depuis les années 1970 il est devenu le support intellectuel pour justifier à la fois les déficits publics résultant des politiques dirigistes de la droite et de la politique sociale de la gauche. Gauche ou droite au pouvoir, pas un budget n’a en effet été en équilibre depuis 1973. La première levée de dette stratégique a été l’emprunt Giscard, à qui l’on doit aussi le regroupement familial. C’est l’époque où la Suisse a mis au point un système très élaboré pour gérer son immigration. Puis est venu François Mitterrand avec l’ISF, impôt transformé par Emmanuel Macron en 2018 mais qui a duré tout de même 37 ans. Ce fut la retraite à 60 ans par répartition, les 35 heures et la politique de Lionel Jospin d’un « chômage bien rémunéré », selon le mot d’un chef d’entreprise penseur de la gauche, Denis Olivennes.

C’est l’époque de l’entrée dans l’euro, et en principe de l’alignement de nos politiques économiques sur celles de nos voisins, ce que les Français n’ont pas fait. Au même moment, les Suisses refusent par référendum de passer à cinq semaines de congés payés : n’ayant pas de chômage, ils n’ont pas de problème de couverture sociale et construisent une retraite qui donne un fort poids à la capitalisation. Puis vient, sous Jacques Chirac, l’arrêt du service militaire alors que la Suisse maintient son système de « milice ». Alors que de Gaulle avait souhaité une décentralisation du pays à la Suisse, François Hollande crée un millefeuille régional qui entraîne un coût évalué à 50 milliards d’euros et complexifie les prises de décision. L’« État providence » laisse entendre que l’argent tombe du ciel.

L’éducation et la formation

C’est peut-être sur l’éducation que la plus forte différence s’est faite. Les Français ont enregistré des chutes nettes dans les classements PISA alors que les Suisses sont restés dans le haut du tableau. Mais ce qu’on n’explique pas assez, c’est l’avance qu’ils ont prise en matière de formation professionnelle. La voie technique possède en Suisse le même prestige que la voie générale : on oriente les jeunes très tôt et on favorise l’apprentissage. La force industrielle qui en résulte, l’industrie pèse pour 25% dans le PIB  suisse, avec une industrie qui exporte 90% de ses ventes, vient en grande partie de là. Le succès en la matière est tel que la Suisse est prise comme « consultant » par des régions américaines qui souhaitent installer ce système chez eux.La chute de la France dans les classements mondiaux et ses difficultés financières sont le résultat des décisions prises pendant ces cinquante dernières années et du recours au déficit budgétaire. Le succès des Suisses donne de nombreuses pistes et devrait ramener à plus d’humilité. La spécificité française, un peu trop facilement brandie dès que l’on évoque le mode de fonctionnement de ses voisins, est un mélange de conservatisme et d’arrogance. Non ! La France n’est pas un pays si différent des autres au point que les bonnes recettes qu’ils pratiquent ne peuvent fonctionner chez elle. C’est probablement en s’inspirant des champions que nous avons les meilleures chances de remonter la pente et d’assurer des rémunérations dignes à tous nos compatriotes sans avoir à compléter leurs revenus par des expédients à répétition. Il est urgent d’apprendre non pas à traiter les effets mais à s’attaquer aux causes ! L’Allemagne, les Pays-Bas et les pays du Nord ont entrepris de dures réformes et, comme la Suisse, bénéficient d’économies resplendissantes. Il n’y a aucune honte à s’inspirer de ce qui marche, même si cela demande des efforts et des renoncements, que les autres nations ont su faire. Alors, pourquoi pas ? Ce serait en outre une façon très efficace de construire une Europe solide et cohérente.

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Surimposer l’héritage ou transmettre aux jeunes générations ?

9 Fév

Chaque semaine, le professeur de stratégie Xavier Fontanet analyse l’évolution de la vie économique et des affaires. Il revient aujourd’hui sur la taxation des successions, qui devient un thème de la campagne présidentielle. Pour l’ancien PDG d’Essilor, la priorité n’est pas de surimposer l’héritage, mais de l’orienter vers les petits-enfants.

Les finances publiques sont tendues, personne ne le conteste ; les médias s’emparent heureusement du sujet, mais curieusement on voit davantage d’articles suggérant des augmentations de la fiscalité que d’analyses cherchant les moyens de baisser les dépenses publiques. Les partisans de la hausse de la fiscalité mentionnent les héritiers dont l’imposition rapporte 15 milliards d’euros (trois fois l’ISF à l’époque où celui-ci était en vigueur). Pour mettre un peu de perspectives, jetons un coup d’œil en dehors de la France pour voir quelle est la tendance. Force est de constater que tous les pays baissent les taux de succession, en particulier les Suédois (longtemps notre modèle) qui les ont récemment… mis à zéro. Nous sommes avec nos amis belges ceux qui, de très loin, taxent le plus en la matière.

La formule des fondations

Taxer l’héritage pose d’abord une question philosophique : la disposition du capital constitué en fin de vie est-elle à la discrétion de la personne qui le détient ou à celle de l’État (sachant que les biens accumulés ont déjà été taxés à plusieurs reprises) ? La deuxième question à se poser porte sur la distinction entre la part dévolue à la famille et la part attribuée sous forme de donations à des fondations. Les fondations sont, en France, une activité économique importante (quelque 35 milliards d’euros) située entre la sphère privée et la sphère publique et dans bien des cas se substituant à elle. Pousser les fondations, qui demande des fonds, est une façon de permettre à la sphère publique de réduire son périmètre et de baisser ses coûts. Pour prendre un exemple, le programme « Lire et faire lire » est une forme de service après-vente de l’Éducation nationale extraordinairement efficace au regard de son coût de fonctionnement grâce au très grand nombre de personnes qui y sont actives bénévolement.

Les économistes qui suggèrent l’augmentation des impôts sur la succession sont obsédés par les problèmes d’égalité et considèrent que la famille en est la principale source…

Les économistes qui suggèrent l’augmentation des impôts sur la succession sont obsédés par les problèmes d’égalité et considèrent que la famille en est la principale source… par conséquent, pour eux, rogner les ressources des familles ne fera pas de mal au système ! Ils reconnaissent que l’initiative individuelle a sa part dans la création de valeur, mais pensent que le gros du mérite revient à l’État (à travers son investissement dans l’éducation et la recherche publique) qui a en quelque sorte mâché le travail. Dans ces conditions, récupérer la majorité des fruits de la création ne leur semble pas illégitime. Étatistes convaincus, ils voient enfin les fondations comme une forme de paternalisme, héritage d’un passé à leurs yeux révolu. Pour eux, taxer les successions et reverser le fruit de cet impôt supplémentaire sous forme de subventions est la façon la plus efficace de réduire les inégalités.

À qui faire confiance ?

Les acteurs du monde de l’entreprise répondent aux économistes qu’investir l’argent sur les problèmes n’a jamais été une façon de les résoudre. La véritable priorité est celle-ci : améliorer l’école et l’université mais surtout, créer un système de formation professionnelle et d’apprentissage comme il en existe dans tous les pays où le chômage des jeunes est nul. Quant à l’héritage, la question n’est pas de le surimposer mais beaucoup plus de l’orienter vers les petits-enfants voir les arrières petits-enfants. Avec l’allongement de la durée de vie, ce sont des retraités qui héritent, ce qui n’est pas la meilleure allocation de ressources.

Il suffit de voyager pour le remarquer : favoriser les fondations est une politique que pratiquent un nombre croissant de pays. On peut notamment citer le Canada où elle a été au cœur de la réforme de Jean Chrétien qui a remis le pays sur pied et explique sa prospérité actuelle. Au fond et comme dans bien des cas, le cœur du problème est de savoir là où l’on met le curseur entre le rôle de la sphère publique et celui de la sphère privée… ainsi que le niveau de confiance que l’on place dans la personne humaine. C’est peut-être par cela qu’il faut commencer.

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Est-ce à la puissance publique de faire la charité ?

28 Déc

Chaque mardi, l’ancien chef d’entreprise et professeur de stratégie Xavier Fontanet, décrypte les faits économiques et sociaux. Il attire l’attention cette semaine sur les conséquences du contrôle progressif des institutions de santé et de charité par l’État.

A

vec tout ce que je paye comme impôts, je considère que c’est à la puissance publique de faire la charité ! Voilà l’expression d’un état d’esprit qui règne en France aujourd’hui et contre lequel il faut lutter. Pour remonter les fils des événements qui ont amené à ce type d’attitude, il faut prendre un peu de perspective et revenir à l’origine historique de ce qu’est aujourd’hui notre sphère sociale. Celle-ci est née des initiatives d’institutions religieuses catholiques et protestantes qui, depuis le Moyen Âge, ont créé des organisations s’occupant de la santé des plus pauvres et des gens délaissés par la société.  

La confiscation de la générosité

Au fil du temps et au début du XXe siècle, notamment en Allemagne, l’idée d’une sphère sociale organisée sous l’impulsion de l’État mais en association avec syndicats et patronat, a commencé à émerger. Les caisses sociales sont nées. Celles-ci étant rarement en équilibre financier, avec le temps, l’État s’est mis à combler les trous. En échange de cette aide financière, celui-ci a pris l’habitude de s’immiscer de plus en plus dans les relations sociales.

Cette extension très régulière de l’État représentait dans les années 1920, 19% du PIB pour atteindre 57% du PIB juste avant la crise Covid, dont 32% pour la seule sphère sociale. Ceci n’est pas sans conséquences : la première c’est que ces coûts entrent dans le prix de revient des entreprises ; toutes les entreprises industrielles qui exportent des produits sont pénalisées par rapport à nos voisins dont les sphères publiques sont moins développées. Le social réduit la compétitivité et freine le développement. S’ajoute un « ras le bol fiscal » et une déresponsabilisation des citoyens. En effet, à ce jeu, l’État confisque les terrains où peut s’exercer la générosité spontanée et provoque des réactions du type de celle décrite au début de cet article. 

Réinstaller l’altruisme

Pour remonter la pente, il serait sage que l’État commence par cesser de combler les trous et laisse aux partenaires sociaux le soin de prendre les décisions qui permettent de revenir à l’équilibre des comptes sociaux ; c’est ce qui est fait dans tout le nord de l’Europe en particulier en Allemagne sous l’ère Schröder. Spontanément, les décisions prises par les partenaires sociaux ont été le recul de l’âge de départ à la retraite, l’arrêt des indemnités chômage pour ceux qui ne cherchent pas activement — le fameux « Il vaut mieux un job pas tout à fait satisfaisant que l’horreur du chômage même bien payé à la maison » — et un forfait social de 25 euros pour les dépenses de santé.

Avec l’hyper-endettement de l’État et la montée des dépenses publiques à un niveau que tout le monde reconnaît comme déraisonnable, l’opportunité est là pour expliquer qu’il faut apprendre à moins dépenser. Encore faudrait-il bannir l’expression « État providence » (un comble pour un État laïque !) qui laisse croire que l’argent tombe du ciel en décrédibilisant tous les appels à la rigueur financière. Le fin du fin serait de profiter de cette période pour faciliter par des incitations fiscales le secteur des fondations, qui pourrait reprendre des activités réalisées par l’État, en lui permettant de se reconcentrer sur les fonctions régaliennes qui sont sa responsabilité première. Cette politique aurait une autre vertu, celle de réinstaller l’altruisme dans notre pays qui en a grand besoin.

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L’escalier de Singapour

27 Déc

Alors que sa prospérité n’a jamais été si élevée, le gouvernement de Singapour vient de mener une étude sur la perception de l’inégalité par ses citoyens les moins favorisés. La recommandation interpelle : la fascination pour l’indice de Gini, qui mesure l’écart de revenus dans une société, est dangereuse : rechercher une égalisation absolue peut devenir contre-productif (sic) pour la communauté, car les transferts démotivent les entrepreneurs et sont une atteinte à la dignité de ceux qui perçoivent des aides.

D’après l’enquête, le vrai souci de ceux qui ont les salaires les plus bas ( il n’y a pas de chômage à Singapour ) est de vivre dignement de leur travail et d’avoir les moyens d’améliorer leur condition de vie et celle de leur famille. Les auteurs suggèrent donc de développer l’idée du grand escalier ou chacun a l’opportunité de monter ; si un de ses membres grimpe plus vite, c’est tant mieux ! Cela crée un appel d’air qui tire les autres vers le haut.

Les efforts avant tout

Le vrai problème, pour le gouvernement, c’est ceux qui n’arrivent pas à monter, ou pis, qui tombent de l’escalier parce qu’ils n’ont pas à leur disposition les moyens de travailler alors même qu’ils ont la volonté de se prendre en main. Ce qui doit compter n’est pas la place qu’on occupe, mais les efforts qu’on fait pour progresser ; la société accordera bien plus de respect à une femme de ménage professionnelle et consciencieuse qu’à un riche dépravé qui dilapide sa fortune. La dignité est plus importante que l’égalité.

Nous ne sommes pas confucéens, mais dans un monde ouvert et, au vu de l’excellence de leur performance économique et sociale, il n’est pas interdit d’apprendre d’eux. Du fait que nous sommes égaux en droit, nous avons conclu que nous devions être tous pareils en fait, alors que nous savons très bien que, même dans les sociétés communistes, les inégalités sont très importantes.

Faire de la dignité une valeur structurelle de notre société, aux côtés de la liberté et de la fraternité, est une piste féconde à explorer.

Xavier Fontanet

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Entreprises : le facteur déterminant de la confiance

17 Nov

Pas de réussite économique sans confiance. L’ancien chef d’entreprise et professeur de stratégie Xavier Fontanet décrit les trois dimensions de la confiance.

Les économistes ont fondé leurs analyses du fonctionnement des entreprises sur le capital et le travail. Il est évident qu’une activité ne peut fonctionner sans travail ni sans capital, mais pour autant, capital et travail sont loin de tout expliquer. Il est un troisième facteur, tout aussi déterminant, qu’il est impossible de mesurer et qui fait toute la différence entre deux entreprises équivalentes en termes de capital et de travail, c’est la confiance qui y règne, que l’on pourrait décrire comme de l’huile qu’on met dans les rouages.

Le premier à avoir mis en évidence ce troisième facteur est sans conteste Alain Peyrefitte. Normalien (lettres), il s’est penché sur l’économie après une vie consacrée à la politique. Il a eu la chance insigne de voir le général de Gaulle en tête à tête chaque jour, un quart d’heure, pendant quinze ans, pour débriefer les journées, avec lui… On peut difficilement imaginer meilleure formation permanente ! À sa retraite, il s’est intéressé aux œuvres des grands économistes et a laissé sa marque en décortiquant, entre autres, le démarrage des Pays-Bas au XVIIIe siècle, de l’Angleterre au XIXe et du Japon au XXe

Les trois dimensions de la confiance

Chaque peuple est différent, chaque modèle politique également, de même que chaque religion. Il n’empêche que chacun de ces trois pays, à sa manière, a connu un développement bien plus significatif que la France qui était pourtant à l’époque mieux pourvu en capital et en travail. La différence s’est faite grâce à une harmonie entre tous les acteurs de la société qu’Alain Peyrefitte décrit comme un phénomène de confiance. Du miracle en économie, son dernier ouvrage, devrait être lu par chaque compatriote et intégré aux programmes scolaires.

La confiance est impossible à mesurer et c’est peut-être pour cela que peu d’économistes se sont penchés sur le sujet. Cela ne dispense pas pour autant de chercher à la comprendre et de la caractériser. L’auteur de ces lignes pense qu’elle est un concept tridimensionnel et c’est ce qui en fait l’intérêt, car chacun de nous à trois dimensions : il est une personne, il a ses proches et est membre de la société. 

La confiance en soi est un subtil équilibre entre l’arrogance, l’excès de confiance qui sépare des autres et la flagellation qui empêche de donner sa mesure. 

La première dimension, c’est la confiance en soi. Le fait pour chaque citoyen d’être bien dans sa peau et d’avoir trouvé le domaine où il excelle. C’est évident au niveau sportif : il faut être en forme pour bien taper une balle au centre quand on est tennisman. Mais c’est également vrai quand il s’agit de prendre de bonnes décisions au travail. La confiance en soi est un subtil équilibre entre l’arrogance, l’excès de confiance qui sépare des autres et la flagellation qui empêche de donner sa mesure. Avoir des gens qui ont confiance en eux ne suffit pas à créer une équipe. La deuxième dimension est la confiance en l’autre. Beaucoup de personnes sont incapables de travailler si elles dépendent du travail des autres. En d’autres termes, elles ont du mal à faire confiance aux autres. Ces attitudes freinent la construction de la confiance parce que rien ne la développe autant que d’éprouver la confiance que vous porte les autres. Il faut apprendre à faire confiance aux autres !

La responsabilité du chef

Les choses sont en fait plus compliquées encore pour celui qui veut créer la confiance, c’est le troisième facteur. Dans le cas d’une entreprise, mais c’est le fait pour n’importe quelle organisation, il est impossible de susciter la confiance si vous envoyez l’ensemble des collaborateurs dans le décor, du fait d’une stratégie mal adaptée. Ceux-ci vont tout de suite le sentir parce qu’ils sont intelligents. Là réside la responsabilité du chef, celle d’être le constructeur de la stratégie, son pédagogue et son garant. Il doit veiller en particulier à ce que les destructeurs de confiance ne réussissent pas dans leur travail de sape. 

La confiance, phénomène universel, intemporel, mystérieux mais essentiel. Il est à peu près sûr que lorsqu’on a réussi à bien en comprendre les ressorts, les choses auront une chance d’aller un tout petit peu mieux !

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