Il va bien falloir un jour rembourser les dettes fiscales et sociales qui ont été contractées pendant le Covid, bien sûr, mais aussi pendant les 40 dernières années. Il faut pour cela se sortir de la tête que les dettes sont finalement une nécessité de l’époque puisque des voisins comme la Suisse sont restés avec des endettements n’excédant pas 30 % du PIB, endettement que nous avions, rappelons-le à la mort de Pompidou.
Il est utile de rappeler à ce stade qu’aussi bien le Général de Gaulle que Georges Pompidou ne voulaient ni une sphère publique dépassant cette limite ni le moindre déficit, une gestion non tenue enlevant toute crédibilité à la parole de la France.
Pour rembourser la dette, c’est simple, on peut vendre des actifs, mais fondamentalement il faut des budgets publics en excédent. Quand vous faites le tour du monde beaucoup de pays y arrivent. Plus intéressant encore, beaucoup ont réussi à passer de déficits annuels importants à des excédents significatifs : Nouvelle-Zélande, Canada et Allemagne pour ne nommer qu’eux.
On va dire que la Suisse est un cas particulier ou que c’est un petit pays, ce qui n’est pas tout à fait vrai si on la mesure en PIB. Quant à la Nouvelle-Zélande on expliquera que les politiques drastiques de Roger Douglas, qui a privatisé il y a 25 ans les systèmes de retraite et les systèmes de santé en vendant les organisations qui les géraient à des assurances privées ne peuvent marcher qu’avec des mentalités anglo-saxonnes très éloignées des nôtres.
Sans aller jusque-là nous avons des pays beaucoup plus proches et de taille analogue au nôtre comme le Canada ou l’Allemagne que nous pouvons raisonnablement utiliser comme modèles.
Dans la sphère publique il y a deux blocs de nature totalement différente : une sphère régalienne et une sphère sociale.
La sphère régalienne est à périmètre variable puisqu’elle peut s’étendre sur l’éducation, l’équipement et la culture. Mais en général les deux ont à peu près la même taille soit 20/25 % du PIB.
La sphère sociale a trois grands postes de coût : la retraite, la santé et tout ce qui tourne autour de l’emploi et du chômage.
Le Canada est l’exemple d’un retournement réussi de la sphère régalienne : sous l’impulsion de Jean Chrétien et de son ministre des Finances Paul Martin, le pays a fermé des ministères entiers, privatisé tout ce qui touchait au transport, réduit les subventions visant à égaliser les prix sur tout le territoire, recouru aux concessions et aux associations bénévoles pour prendre le relais dans certains domaines détenus par la sphère publique.
Après maintenant 25 ans de recul les chiffres parlent d’eux mêmes. On a pu constater une baisse impressionnante de la dette. Les déficits ont disparu et l’économie n’a absolument pas souffert, démontrant la justesse des thèses de Frédéric Bastiat à savoir qu’une dépense publique évitée, c’est de l’impôt en moins et une dépense privée équivalente, automatiquement libérée.
Plus proche de nous, l’Allemagne. Le point intéressant c’est que les efforts de réforme ont porté exclusivement sur la sphère sociale sous l’influence de Gerhard Schroeder et de Peter Hartz.
C’est une approche complémentaire de celle du Canada. Ces deux dirigeants ont réussi à faire comprendre au peuple allemand que l’argent ne tombait pas du ciel et que la dette d’un pays ne pouvait dépasser les 60 % sauf à perdre à terme son indépendance et livrer un jour le pays aux financiers. À l’époque, au début des années 2000, la sphère publique allemande atteignait 57 % du PIB et le déficit 5 % du PIB c’est-à-dire 10 % des recettes publiques et sociales.
L’État n’ayant plus d’argent, Schroeder a annoncé que ce dernier ne pouvait plus combler le trou des caisses sociales ; c’était donc au patronat et aux syndicats de se débrouiller pour retrouver l’équilibre. Confrontés aux chiffres, ceux-ci ont très bien compris que le premier effort devait porter sur la retraite, de très loin la plus grosse dépense et qu’il n’y avait pas d’autres solutions que de passer l’âge de départ à 67 ans. L’allongement du temps de travail était rendu possible par l’amélioration de la santé.
L’effet de baisse des dépenses et de montée des recettes a été drastique et l’équilibre est revenu en quelques années. Un ticket modérateur a été institué dans les dépenses de santé, les caisses sont revenues là aussi rapidement à l’équilibre.
Le chantier le plus fondamental a été l’évolution du marché du travail.
On a fait le choix d’indemnités de chômage incitatives à la reprise du travail, avec le slogan : « il vaut mieux un travail pas tout à fait satisfaisant que l’horreur du chômage même bien payé à la maison ». Il y a eu ensuite une adaptation très importante aux contrats de travail dans les grandes entreprises et sous l’impulsion de Volkswagen dont Peter Hartz était l’ancien DRH, adaptations qui n’ont pas été suffisamment évoquées en France, comme le CDI à temps variable, à l’époque où en France étaient organisées les 35 heures !
Dans ce CDI, la durée de travail est variable chaque année, elle peut s’étendre de 4X7 = 28 à 5X9 = 45 heures suivant la charge de l’entreprise. En contrepartie de ce changement des contrats de travail traditionnels les employés sont éligibles à des intéressements extrêmement significatifs ; par exemple, 12 000 euros pour un ouvrier les bonnes années.
Il y a eu enfin ce que l’on a appelé, ici en France, les mini jobs ; il s’agissait d’une politique visant à éviter le travail au noir qui avait explosé. On n’a pas non plus communiqué en France sur leur succès volumétrique puisque 8 millions de jobs ont été ainsi créés, 3 millions de personnes en ayant deux ; avec du recul il s’agissait en fait de rationaliser le temps partiel. Au début, les rémunérations étaient faibles mais avec la croissance qui est repartie il a été possible de les augmenter. Au bout du bout le chômage a été totalement éradiqué.
Ces réformes ont fondamentalement coûté sa réélection à Schroeder mais Angela Merkel a eu la sagesse de poursuivre la politique de son prédécesseur. La prospérité allemande des dernières années provient en très grande partie des efforts consentis durant ces années 2005.
Cette fois-ci, il faut organiser en France ces réformes pour trois raisons :
- Pour garder la main et éviter de tomber sous le joug des banquiers. Les Français ayant travaillé à l’étranger ont vu ce qui se passe quand les choses vont mal comme par exemple en Argentine ou en Grèce et disent avec fermeté qu’il ne faut pas en arriver là.
- Parce que pour toute l’Europe du Nord, la crédibilité d’un pays dont les comptes ne sont pas en ordre est très affaiblie, c’est une affaire de culture.
- Parce que derrière les politiques de rigueur se dessine une évolution fondamentale des relations entre le droit et les devoirs. Le mot d’ordre conceptuel de la réforme allemande a été la notion de « solidarité exigeante ».
La solidarité est le ciment de la société mais la personne qui en est bénéficiaire, en particulier quand les temps sont durs, a le devoir de prendre sur elle pour participer à l’effort, c’est une affaire de dignité. Les Français ont tendance à placer les droits en avant mais en période de difficultés comme celle que nous allons connaître, les devoirs prennent le pas sur les droits.
Ceux qui connaissent bien la mentalité de l’Europe du Nord peuvent prédire que si les Français sont capables de faire leur cette hiérarchie des valeurs qui permettra un retour à des finances saines, alors ils gagneront très rapidement leur estime. L’Europe prendra alors le même élan que celui qu’ont donné de Gaulle et Konrad Adenauer en scellant, ensemble, en 1963, la réconciliation de la France et de l’Allemagne.
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