Archive | novembre, 2018

Quand Singapour réinvente le viager

30 Nov
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Les pays asiatiques ont rattrapé les pays occidentaux en s’inspirant de leurs valeurs prônant l’initiative individuelle et l’économie de marché. Comme quoi aller chercher les bonnes pratiques, même dans des pays de culture différente, peut très bien marcher. Du fait de leur culture confucéenne, qui met le groupe au-dessus de l’individu, les Asiatiques ont un sens social plus développé que le nôtre. Nous devrions arrêter de clamer comme toujours « nous, c’est différent », et chercher si il n’y a pas de bonnes idées à prendre dans leur domaine social.

Singapour vient ainsi de proposer une idée géniale qui lie retraite et politique du logement. La politique logement à Singapour n’est pas, comme ici, de subventionner les loyers, mais de faciliter l’accès à la propriété grâce à des prix raisonnables que l’État fait aux particuliers. Rappelons également que les retraites à Singapour sont des retraites par capitalisation, gérées par des fonds d’investissement gigantesques.

La cité-État va proposer aux seniors de plus de 65 ans de revendre leur appartement à ces fonds, ceux-ci pouvant les revendre aux plus jeunes en recherche de logement. Les anciens ajouteront alors la somme perçue de la vente au capital-retraite qu’ils ont accumulé. Le tout sera transformé en viager, associé à la mise à disposition d’un appartement mieux adapté aux contraintes de leur âge.

Grâce à ces choix dans deux domaines essentiels, les retraités de ce pays vont connaître une vieillesse bien plus heureuse que les nôtres, dont on cherche en ce moment à rogner les prestations. Mais ce n’est là qu’un exemple. On en vient à se demander si le secret de la réussite de ce pays ne réside pas tout simplement dans la gouvernance de sa sphère publique. Tirons les choses au clair, et demandons officiellement au gouvernement singapourien un diagnostic sur la nôtre, histoire de penser « out of the box ».

Ce sera aussi une belle occasion de découvrir ce pays, dont le PIB par tête est aujourd’hui le double du nôtre, alors qu’il était le tiers en 1973 !

Make Europe great again – Chronique aux Echos

23 Nov
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Kishore Mahbubani est professeur d’économie politique à Singapour. Il explique à quel point le monde est en train de changer dans son dernier livre, « Has the West Lost It ? », que l’on peut traduire par « L’Ouest a-t-il perdu la main ? ».

Au moment même où l’Amérique clame son « America first », son PIB (mesuré en parité de pouvoir d’achat) est en train de se faire dépasser par celui de la Chine. Au vu des masses et des vitesses en présence, l’Amérique n’est pas prête de la rattraper. Le déclencheur de ce bouleversement a été l’entrée de la Chine dans le commerce mondial, entrée qui coïncidait avec la chute du mur de Berlin. L’idée fausse lancée par Francis Fukuyama de « la fin de l’histoire » a fait commettre à l’Ouest un péché d’orgueil en lui faisant croire que la partie était finie et qu’il avait gagné. L’Ouest s’est alors reposé sur ses lauriers oubliant la réalité de la concurrence. Curieusement, surtout en Europe, un doute s’est installé. Nous, Européens, nous avons perdu la foi dans nos valeurs démocratiques et dans l’efficacité de l’économie de marché alors que nous devrions en être fiers : la croissance de l’Inde et de l’Asie, qui a permis d’y faire reculer la pauvreté, vient de ce que ces deux pays ont puisé de l’inspiration chez nous. Nous nous sommes jetés sur leurs produits bon marché en omettant de nous mettre sur de nouveaux métiers. En France, nous avons succombé aux délices de l’État providence pour réparer ce qu’on nommait « les limites de l’économie de marché » en rajoutant des couches de coûts sur les prix de revient de nos entreprises. Nos classes moyennes paient le prix de cette méprise. Pourtant, dans ce monde en bouleversement, certaines de nos entreprises françaises, leaders mondiaux, ont su tirer leur épingle du jeu ; si on leur tendait un peu plus le micro, elles rappelleraient que les Français sont pleins de talents et peuvent exceller. Elles expliqueraient que la mondialisation peut nous être bénéfique si nous sommes prêts à nous remettre en cause, à faire la chasse aux surcoûts publics et à prendre un peu de hauteur.

L’industrie française malade de ses charges

16 Nov
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La Fabrique de l’industrie et France Stratégie viennent de publier une étude montrant que les industriels français investissaient beaucoup plus que leurs confrères étrangers sans pour autant que les résultats soient là : ils continuent à perdre des parts de marché dans le monde, la France se désindustrialise et la balance des paiements est toujours très négative. Les experts de ces deux organisations ont émis l’idée que nos entreprises se tournent vers un modèle à la « Apple » avec des centres de recherche en France et des productions de plus en plus délocalisées, d’où le chômage.

On peut adopter un tout autre point de vue et dire que cet écart est révélateur de la difficulté d’avoir en France une activité industrielle à cause des charges publiques qui pèsent sur la production. Notre sphère publique occupe en effet 57 % du PIB alors qu’en Allemagne, à périmètre comparable, ce chiffre est de 44 % ; si on calcule la charge que doit porter chaque euro géré par la sphère privée en France et en Allemagne, on trouve 1,32 euro pour la France et 0,79 euro pour l’Allemagne ! Ce surcoût passe dans les prix de revient et l’entreprise française se retrouve 30 % plus chère que sa consoeur allemande. Dans les services, les concurrents sont locaux, tous portent les mêmes charges, cet écart ne pèse pas ; dans l’industrie, les produits circulent, les concurrents actifs dans des pays où la sphère publique est plus coûteuse sont structurellement désavantagés.

Plutôt que de laisser entendre que le problème du chômage vient d’une stratégie « à la Apple » des entreprises, il serait plus constructif d’expliquer qu’elles délocalisent leurs productions parce que le terreau français est devenu beaucoup trop coûteux. Plusieurs pays, depuis vingt ans, ont fait ce constat et ont réduit de 10 points la part de la sphère publique dans le PIB. La preuve est donnée que l’industrie se porte alors mieux et qu’on restaure du même coup l’équilibre des comptes publics et du commerce extérieur.

 

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Du bon usage du private equity- chronique aux Echos

9 Nov

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Si on vous dit Alvest, Fives, Ortec, Sebia ou Ceva, il est probable qu’aucun de ces noms ne vous dira quoi que ce soit. Voilà pourtant de grandes ETI (entreprises de taille intermédiaire), dont les chiffres d’affaires sont compris entre 350 millions et 2 milliards d’euros. Elles sont françaises, leaders mondiaux sur des créneaux technologiques et de forte valeur ajoutée. On n’en parle pas, car elles sont privées, donc non cotées, et par voie de conséquence moins connues. Quand on prononce le terme de « leverage buy-out » (rachat avec effet de levier), peu de gens savent de quoi il retourne… Quant à ceux qui ont une culture économique, ils pensent immédiatement à « Barbarians at the Gate », nom du thriller relatant le rachat par emprunt de RJR Nabisco (le premier LBO) réalisé fin des années 1980 aux Etats-Unis. Quant à la dénomination « private equity » (capital-investissement), ce n’est pas beaucoup mieux, le mot évoque dans le meilleur des cas finance obscure et rapacité. Eh bien, ces cinq sociétés ont acquis leur leadership en passant par des LBO conçus par des « private equity » ! Si des échecs patents ont été médiatisés, quand ça s’est bien passé, on n’en a pas parlé, et c’est dommage, car les succès sont nombreux ! Les fonds de « private equity » (qu’il serait sage de rebaptiser, selon les cas, fonds d’innovation, fonds de transmission ou fonds de développement) peuvent accompagner la vie des entreprises. Ils peuvent être là au démarrage. Ils peuvent aider les familles à passer la main à d’autres investisseurs. Avec une injection de capital et une dette correctement calculée dans un esprit de développement, ils peuvent aider une PME française à changer d’échelle en conquérant le monde. Nous avons subi en France pendant beaucoup trop longtemps une fiscalité confiscatoire sur le capital, nous avons encore sur les successions les taux d’imposition les plus élevés au monde. Les raisons du retard que nous enregistrons sur l’Allemagne en grosses ETI et en exportation se trouvent en grande partie là. Arrêtons de jeter la pierre sur cette profession, elle peut aider notre pays à le combler.