Archive | février, 2022

Économie : pourquoi ne pas s’inspirer des pays champions ?

24 Fév

Chaque semaine, le professeur de stratégie Xavier Fontanet analyse l’évolution de la vie économique et des affaires. Dubitatif sur les promesses de campagne des candidats à l’élection présidentielle, il se demande pourquoi nul d’entre eux ne cherche à s’inspirer des politiques économiques des pays voisins de la France.

Tous les candidats à l’élection présidentielle promettent d’augmenter les salaires et ou de donner des primes pour alléger les difficultés matérielles de bon nombre de nos concitoyens. Nous sommes donc dans le très court terme alors qu’une période électorale, surtout l’élection d’un président de la République, devrait être un moment fort où l’on se pose des questions portant sur la longue durée et sur les principes sous-tendant les politiques. Prenons donc un peu de recul, et cherchons à comprendre pourquoi un très grand nombre de pays européens ne connaît pas ce genre de promesses dans leurs campagnes électorales.

L’exemple de la Suisse

Prenons un cas d’école pour réfléchir, un pays ou le risque d’avoir des révoltes type Gilets jaunes est quasiment nul, un pays qui partage une frontière avec nous et qui fait travailler bon nombre de nos compatriotes : la Suisse. En 1973, la France et la Suisse sont au septième rang dans le classement mondial en PIB par tête avec le même chiffre : 5.500 USD. Les deux sont en équilibre budgétaire et extérieur, leurs dettes s’élèvent à 20% du PIB pour la France et 32% pour la Suisse. 

La France est en déficit chronique en termes de budget et de commerce extérieur, sa dette est passée de 20% à 115% du PIB. Faites-vous même un petit calcul sur un dos d’enveloppe, l’augmentation de la dette publique, c’est environ trois ans de salaire pour chaque français employé

En 2021, la Suisse garde son rang avec un PIB par tête de 87.000 USD. La France est au 38e rang avec 39.000 USD, l’une des plus jolies dégringolades du classement. La Suisse est en excédent commercial et budgétaire, sa dette a chuté de 32% à 26%. La France est en déficit chronique en termes de budget et de commerce extérieur, sa dette est passée de 20% à 115% du PIB. Faites-vous même un petit calcul sur un dos d’enveloppe, l’augmentation de la dette publique, c’est environ trois ans de salaire pour chaque français employé : on ne parle pas de petits chiffres. Cette dégringolade n’est évidemment pas étrangère aux difficultés d’une grande partie de nos concitoyens et plutôt que chercher des astuces permettant de monter les salaires cette année, il serait plus judicieux de chercher à comprendre l’origine du déclin.

La fin de l’équilibre budgétaire

1973 est l’année de la hausse du pétrole, mais pour les Français, cela fut aussi un changement de génération d’hommes politiques. Valéry Giscard d’Estaing prend le manche après quinze ans de gaullisme, mettant sa jeunesse en avant. Le changement le plus important, dont on n’a peut-être pas assez discuté, est celui de notre philosophie économique : brièvement, nous sommes passés de Jacques Rueff (+1976) à John Maynard Keynes (+1946) sous l’influence de Lionel Stoléru (+2016), un des proches de VGE. De Gaulle ne voulait pas d’un État qui dépasse 30% du PIB, affirmant qu’au-delà de ce chiffre on entrait en socialisme ; il voulait des budgets en équilibre pour garder la crédibilité de la parole française à l’étranger.

Keynes a donné une justification conceptuelle au déficit budgétaire disant que celui-ci activait l’économie. Depuis les années 1970 il est devenu le support intellectuel pour justifier à la fois les déficits publics résultant des politiques dirigistes de la droite et de la politique sociale de la gauche. Gauche ou droite au pouvoir, pas un budget n’a en effet été en équilibre depuis 1973. La première levée de dette stratégique a été l’emprunt Giscard, à qui l’on doit aussi le regroupement familial. C’est l’époque où la Suisse a mis au point un système très élaboré pour gérer son immigration. Puis est venu François Mitterrand avec l’ISF, impôt transformé par Emmanuel Macron en 2018 mais qui a duré tout de même 37 ans. Ce fut la retraite à 60 ans par répartition, les 35 heures et la politique de Lionel Jospin d’un « chômage bien rémunéré », selon le mot d’un chef d’entreprise penseur de la gauche, Denis Olivennes.

C’est l’époque de l’entrée dans l’euro, et en principe de l’alignement de nos politiques économiques sur celles de nos voisins, ce que les Français n’ont pas fait. Au même moment, les Suisses refusent par référendum de passer à cinq semaines de congés payés : n’ayant pas de chômage, ils n’ont pas de problème de couverture sociale et construisent une retraite qui donne un fort poids à la capitalisation. Puis vient, sous Jacques Chirac, l’arrêt du service militaire alors que la Suisse maintient son système de « milice ». Alors que de Gaulle avait souhaité une décentralisation du pays à la Suisse, François Hollande crée un millefeuille régional qui entraîne un coût évalué à 50 milliards d’euros et complexifie les prises de décision. L’« État providence » laisse entendre que l’argent tombe du ciel.

L’éducation et la formation

C’est peut-être sur l’éducation que la plus forte différence s’est faite. Les Français ont enregistré des chutes nettes dans les classements PISA alors que les Suisses sont restés dans le haut du tableau. Mais ce qu’on n’explique pas assez, c’est l’avance qu’ils ont prise en matière de formation professionnelle. La voie technique possède en Suisse le même prestige que la voie générale : on oriente les jeunes très tôt et on favorise l’apprentissage. La force industrielle qui en résulte, l’industrie pèse pour 25% dans le PIB  suisse, avec une industrie qui exporte 90% de ses ventes, vient en grande partie de là. Le succès en la matière est tel que la Suisse est prise comme « consultant » par des régions américaines qui souhaitent installer ce système chez eux.La chute de la France dans les classements mondiaux et ses difficultés financières sont le résultat des décisions prises pendant ces cinquante dernières années et du recours au déficit budgétaire. Le succès des Suisses donne de nombreuses pistes et devrait ramener à plus d’humilité. La spécificité française, un peu trop facilement brandie dès que l’on évoque le mode de fonctionnement de ses voisins, est un mélange de conservatisme et d’arrogance. Non ! La France n’est pas un pays si différent des autres au point que les bonnes recettes qu’ils pratiquent ne peuvent fonctionner chez elle. C’est probablement en s’inspirant des champions que nous avons les meilleures chances de remonter la pente et d’assurer des rémunérations dignes à tous nos compatriotes sans avoir à compléter leurs revenus par des expédients à répétition. Il est urgent d’apprendre non pas à traiter les effets mais à s’attaquer aux causes ! L’Allemagne, les Pays-Bas et les pays du Nord ont entrepris de dures réformes et, comme la Suisse, bénéficient d’économies resplendissantes. Il n’y a aucune honte à s’inspirer de ce qui marche, même si cela demande des efforts et des renoncements, que les autres nations ont su faire. Alors, pourquoi pas ? Ce serait en outre une façon très efficace de construire une Europe solide et cohérente.

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Réduire le nombre d’impôts pour augmenter le pouvoir d’achat

17 Fév

L

a complexité normative qui nous fait perdre un temps fou dans la paperasserie empêche la créativité de nos entreprises de porter ses fruits, remonte leur prix de revient, nous étouffe tous petit à petit et nous coûte beaucoup plus cher en PIB par tête que nous le pensons. Elle est le signe et le résultat d’un pays dominé par sa sphère administrative ; une de ses manifestations parmi bien d’autres est le nombre d’impôts — 360 — qui s’approche dangereusement de celui des jours de l’année. 

Il faut savoir que plusieurs pays sont en train de réfléchir à des programmes de simplifications drastiques de leur système de normes, en particulier dans le domaine fiscal. Certains parlent même de politiques visant à réduire le nombre d’impôts à trois (impôts sur les revenus-IR, TVA, impôts sur les sociétés-IS). Pour aller encore plus loin dans la simplification, on voit poindre l’idée d’un taux unique : on mettrait systématiquement en place le principe de la flat tax [un prélèvement forfaitaire unique, ndlr.]. L’impôt aurait pour mission de financer la sphère publique de façon simple et lisible et non pas de réaliser une politique de redistribution ou de « justice » fiscale.

Limiter le financement public au régalien

Il n’est pas inintéressant de deviner à quel taux parviendrait la France dans les pays dont les États sont compétitifs en termes de coût relativement au sien. Faisons le calcul d’ordre de grandeur en prenant notre voisin allemand (qui n’est pas le plus compétitif) ; la sphère publique allemande est à 44% du PIB, 20% pour la partie régalienne, 24% pour la partie sociale. Cette dernière est gérée par le secteur privé et est équilibrée depuis les réformes Schröder. La partie à couvrir par l’impôt est donc la sphère régalienne qui coûte 20% du PIB. Le calcul est simple et lisible. Sachant que les salaires représentent 54% du PIB, la consommation 56%, le bénéfice brut de l’ensemble des entreprises et 15% le taux d’impôt général serait de… 16% (soit = 20 /.54+.56+.15). Les économies de gestion seraient considérables à tous les niveaux et le taux auquel on arrive donne à réfléchir notamment sur l’IS. 

Il nous sera expliqué que c’est impossible pour un pays comme la France ou la moitié des citoyens ne paye pas l’impôt et où de très nombreux produits ont des TVA à 5% à cause de problèmes de pouvoir d’achat ! Le risque est de surcharger les entreprises qui sont les créateurs de richesse, les exportateurs et les pourvoyeurs d’emploi. Les bons résultats du CAC 40 donnent de l’eau au moulin de ceux qui voudraient les surtaxer oubliant qu’elles ont devant elles des investissements très élevés pour faire face à la concurrence mondiale et lutter contre le réchauffement climatique. Si les voisins de la France passent à l’action, et si elle persiste dans la complexité en se persuadant que celle-ci est dans nos gènes, elle continuera à s’épuiser dans le dédale des règlements, son attractivité diminuera, la désindustrialisation du pays continuera de plus belle ; tout cela n’arrangera ni ses affaires, ni le pouvoir d’achat des Français.

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Surimposer l’héritage ou transmettre aux jeunes générations ?

9 Fév

Chaque semaine, le professeur de stratégie Xavier Fontanet analyse l’évolution de la vie économique et des affaires. Il revient aujourd’hui sur la taxation des successions, qui devient un thème de la campagne présidentielle. Pour l’ancien PDG d’Essilor, la priorité n’est pas de surimposer l’héritage, mais de l’orienter vers les petits-enfants.

Les finances publiques sont tendues, personne ne le conteste ; les médias s’emparent heureusement du sujet, mais curieusement on voit davantage d’articles suggérant des augmentations de la fiscalité que d’analyses cherchant les moyens de baisser les dépenses publiques. Les partisans de la hausse de la fiscalité mentionnent les héritiers dont l’imposition rapporte 15 milliards d’euros (trois fois l’ISF à l’époque où celui-ci était en vigueur). Pour mettre un peu de perspectives, jetons un coup d’œil en dehors de la France pour voir quelle est la tendance. Force est de constater que tous les pays baissent les taux de succession, en particulier les Suédois (longtemps notre modèle) qui les ont récemment… mis à zéro. Nous sommes avec nos amis belges ceux qui, de très loin, taxent le plus en la matière.

La formule des fondations

Taxer l’héritage pose d’abord une question philosophique : la disposition du capital constitué en fin de vie est-elle à la discrétion de la personne qui le détient ou à celle de l’État (sachant que les biens accumulés ont déjà été taxés à plusieurs reprises) ? La deuxième question à se poser porte sur la distinction entre la part dévolue à la famille et la part attribuée sous forme de donations à des fondations. Les fondations sont, en France, une activité économique importante (quelque 35 milliards d’euros) située entre la sphère privée et la sphère publique et dans bien des cas se substituant à elle. Pousser les fondations, qui demande des fonds, est une façon de permettre à la sphère publique de réduire son périmètre et de baisser ses coûts. Pour prendre un exemple, le programme « Lire et faire lire » est une forme de service après-vente de l’Éducation nationale extraordinairement efficace au regard de son coût de fonctionnement grâce au très grand nombre de personnes qui y sont actives bénévolement.

Les économistes qui suggèrent l’augmentation des impôts sur la succession sont obsédés par les problèmes d’égalité et considèrent que la famille en est la principale source…

Les économistes qui suggèrent l’augmentation des impôts sur la succession sont obsédés par les problèmes d’égalité et considèrent que la famille en est la principale source… par conséquent, pour eux, rogner les ressources des familles ne fera pas de mal au système ! Ils reconnaissent que l’initiative individuelle a sa part dans la création de valeur, mais pensent que le gros du mérite revient à l’État (à travers son investissement dans l’éducation et la recherche publique) qui a en quelque sorte mâché le travail. Dans ces conditions, récupérer la majorité des fruits de la création ne leur semble pas illégitime. Étatistes convaincus, ils voient enfin les fondations comme une forme de paternalisme, héritage d’un passé à leurs yeux révolu. Pour eux, taxer les successions et reverser le fruit de cet impôt supplémentaire sous forme de subventions est la façon la plus efficace de réduire les inégalités.

À qui faire confiance ?

Les acteurs du monde de l’entreprise répondent aux économistes qu’investir l’argent sur les problèmes n’a jamais été une façon de les résoudre. La véritable priorité est celle-ci : améliorer l’école et l’université mais surtout, créer un système de formation professionnelle et d’apprentissage comme il en existe dans tous les pays où le chômage des jeunes est nul. Quant à l’héritage, la question n’est pas de le surimposer mais beaucoup plus de l’orienter vers les petits-enfants voir les arrières petits-enfants. Avec l’allongement de la durée de vie, ce sont des retraités qui héritent, ce qui n’est pas la meilleure allocation de ressources.

Il suffit de voyager pour le remarquer : favoriser les fondations est une politique que pratiquent un nombre croissant de pays. On peut notamment citer le Canada où elle a été au cœur de la réforme de Jean Chrétien qui a remis le pays sur pied et explique sa prospérité actuelle. Au fond et comme dans bien des cas, le cœur du problème est de savoir là où l’on met le curseur entre le rôle de la sphère publique et celui de la sphère privée… ainsi que le niveau de confiance que l’on place dans la personne humaine. C’est peut-être par cela qu’il faut commencer.

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«Pour réparer la méritocratie, valorisons aussi l’excellence dans les métiers manuels» LE FIGARO

2 Fév

TRIBUNE – La crise des «gilets jaunes», tout comme les contestations populistes dans d’autres pays, ont à leur source une amertume engendrée par une mondialisation ne valorisant que les métiers intellectuels, argumente l’ex-PDG du groupe Essilor*.

Les raisons profondes de la crise des «gilets jaunes», arrivée il y a plus de trois ans, sont encore objet de débats. Le même phénomène s’est produit en Angleterre avec le vote contre l’Europe et aux États-Unis avec l’émergence de Trump. Il s’agit donc d’un sujet absolument fondamental qui affecte les démocraties. De nombreux ouvrages remarquables, notamment ceux de Christophe Guilluy et Jérôme Fourquet, ont parfaitement décrit ces fractures sociales et territoriales, dont on attribue souvent la cause à la centralisation du pays et à la politique dite d’aménagement du territoire.

La Tyrannie du mérite, l’ouvrage du philosophe américain Michael Sandel, jette lui aussi une lumière intéressante sur ce phénomène. Cet essai mérite tout particulièrement notre attention puisqu’il est écrit par un Américain, professeur à Harvard, l’une des plus prestigieuses universités du pays. Les États-Unis sont un pays infiniment plus décentralisé que la France, et pourtant, le même «ras-le-bol» profond des classes moyennes est observable. Il faut donc en chercher les raisons ailleurs. Michael Sandel les attribue au processus éducatif et à l’élitisme des grandes universités. Le système éducatif américain, de qualité mondiale, est clairement l’une des explications de la croissance économique des États-Unis. Les universités sont en principe ouvertes à tous, mais, sur la durée (on parle ici de plusieurs générations) on se rend compte que les élites monopolisent petit à petit les meilleures d’entre elles. Selon l’auteur, elles ont créé sournoisement une nouvelle aristocratie fondée sur les diplômes les plus prestigieux. Formidable système pour les élites, mais que se passe-t-il pour ceux qui ne sont pas sélectionnés? Ils trouvent finalement des emplois, qu’on qualifie un peu vite d’«ordinaires» et c’est dans cette frange de la population que se retrouvent les supporteurs de Trump.

L’autre défaut du système, poursuit l’auteur, tient aux disciplines choisies par ces universités qui sont en général très intellectuelles. C’est ce qui se passe en Angleterre avec Eton et Cambridge, et en France avec l’X et l’ENA. Le problème tient au fait de mettre aux commandes de bons élèves, coupés de la réalité, et non pas ceux qui ont roulé leur bosse et connu la vraie vie. Certains en viennent même à avancer l’idée que le résultat obtenu par cette nouvelle organisation de la société est presque pire que ce qui se passait sous l’Ancien Régime. À l’époque, si vous étiez dans le tiers état ce n’était pas de votre faute, c’est que vous étiez tombé dans un mauvais berceau. Dans nos démocraties méritocratiques, c’est différent: vous avez eu accès à la formation et vous n’avez pas réussi! Voilà qui explique le sentiment de frustration développé chez ceux qui n’ont pas été en tête de classe et n’ont pas pu accéder aux bonnes universités. La méritocratie, qui devait représenter un espoir collectif, devient une tyrannie pour la majorité des gens.

Voilà en tout cas le diagnostic de Michael Sandel. Comment trouver une solution au problème? Regardons ce qui se passe ailleurs. Il est deux pays où le phénomène des «gilets jaunes» ne risque pas de se produire ; la Suisse et le Japon.

En Suisse, on considère que les techniques proches de la matière peuvent permettre d’atteindre un leadership mondial et sont tout aussi formatrices que l’excellence dans des connaissances abstraites

En Suisse il n’y a pas de capitale comme Paris ; de ce fait il y a moins de couches dans la société ; tout ce qui compte se passe au niveau du canton (en surface un demi-département), une entité à taille humaine. L’autre raison fondamentale qui explique l’harmonie qui règne en Suisse est la structure de l’éducation et l’importance donnée aux métiers techniques. La filière technique a le même prestige que la filière générale et s’appuie sur le levier de l’apprentissage en entreprise. À la différence des États-Unis, de l’Angleterre et de la France où l’on favorise des savoir-faire abstraits tels que les mathématiques, le droit ou les lettres, en Suisse, on considère que les techniques proches de la matière peuvent permettre d’atteindre un leadership mondial et sont tout aussi formatrices que l’excellence dans des connaissances abstraites.

Continuons le voyage, allons au Japon. Penchons-nous sur l’ikigaï (en japonais, terme désignant une philosophie de vie cherchant l’équilibre entre passion, vocation et utilité commune NDLR) qui est une sorte de règle de vie en société. L’ikigaï vous explique qu’un artisan ou un ouvrier qui travaille au sommet de l’excellence mérite un statut bien plus élevé qu’un cadre administratif médiocre, fût-il très haut placé. Ce qui compte dans la société n’est pas le niveau hiérarchique où vous êtes mais l’excellence avec laquelle vous traitez la responsabilité qui vous a été confiée par la société. Les grands artisans sont vénérés comme les meilleurs sportifs ou les entrepreneurs. Du reste, depuis quelque temps, il existe des olympiades des métiers manuels (menuiserie, plâtrerie, peinture, soudure). Mais nous avons curieusement peu parlé de ces épreuves dans lesquelles les Français ont fait de jolies performances. Or ces Jeux montrent jusqu’à quelle sophistication peut conduire l’excellence mondiale dans des métiers pourtant réputés simples.

Il serait donc souhaitable de creuser les pistes suisse et japonaise pour donner aux enseignements techniques la place qu’ils méritent. Il faut cesser de dire aux enfants comme on le fait trop souvent: «Tu n’as pas réussi dans la filière générale, on va te mettre dans la filière technique». Il convient aussi de les orienter beaucoup plus tôt, comme on le fait en Allemagne et aux Pays-Bas, car un enfant mal orienté perd son temps. Il est de bon ton aujourd’hui de proposer de taxer davantage encore les grosses successions pour réinvestir tout cet argent afin d’assurer l’égalité de tous les jeunes avec un système de capital financier de départ. Cette mesure, avancée par certains candidats de gauche à la présidentielle, est typique du défaut technocratique français qui consiste à mettre de l’argent sur les problèmes comme s’il résolvait tout. Il faut au contraire impérativement s’attaquer à la racine et lancer une remise à plat du système des filières en s’inspirant des pays dans lesquels règne l’harmonie sociale. C’est la meilleure façon de redonner moral et dignité à celle qu’on appelle improprement la classe moyenne qui est pleine de talents!

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Le succès de l’OPA de Véolia sur le groupe Suez consacre le leadership mondial de la France sur le traitement de l’eau et des déchets. Pour le professeur de stratégie Xavier Fontanet, ce succès est aussi celui de l’ingénieux système des concessions publiques à des acteurs privés.

1 Fév

Le groupe Veolia est devenu ce mardi 18 janvier propriétaire de Suez, devenant ainsi le numéro un mondial du traitement de l’eau. Avoir engendré un authentique leader alors qu’on ne représente que 4% du PIB mondial mérite d’être noté à l’heure où on dénigre un peu facilement les entreprises ! Pourquoi une telle réussite dans ce domaine ? Il y a probablement deux raisons.

Le goût des métiers compliqués

La première est que ce type de métier sied aux talents français. Les Français aiment les métiers compliqués intégrant des savoir-faire dont les technologies ne sont pas encore stabilisées : la construction de ponts, la recherche pétrolière, les assurances… Le traitement de l’eau et des déchets entre typiquement dans ces catégories. Ils sont en revanche loin d’exceller dans les métiers qui demandent de la précision et de la discipline dans l’exécution, là précisément où les talents allemands et les Japonais donnent leur mesure : la mécanique de haute précision, la machine-outil, les grosses automobiles pour ne donner que trois exemples. 

Voilà encore un beau projet pour l’Europe d’avoir des grands concessionnaires dans quelques services publics bien choisis et ce, sur une base plus large que celle du pays.

La seconde raison tient à l’origine même du métier… C’est la décision d’un acteur public, la ville de Lyon qui, il y a 150 ans, a concédé à un acteur privé, la CGE, une activité qu’il réalisait lui-même, la gestion de l’eau, en mettant au point un contrat de concession. Forte de cette expérience, la CGE a relevé le challenge, puis persuadé d’autres villes de faire de même en devenant au fil des ans le groupe Veolia.

Le succès des concessions

Les Français, (Véolia n’étant pas seul sur le marché, il y a eu Suez), ont réussi à gérer l’eau d’autres villes à l’étranger et à acquérir le leadership mondial. En étant confrontés à de très nombreuses situations, ils ont développé un authentique métier qui est devenu leur force et leur raison d’être. Saluons Veolia mais aussi l’invention du système de concession dans lequel l’État sous-traite une activité tout en gardant le contrôle, invention géniale à mettre à l’actif de notre sphère publique. D’autres expériences de concession ont été réalisées depuis, comme la gestion des autoroutes. Un autre exemple dont on parle peu mais tout aussi exemplaire est la société EGIS, issue des services d’étude du ministère de l’Équipement, par décision d’Albin Chalandon, sous Pompidou, qui, par le même mécanisme est en train de devenir le leader mondial de ce domaine d’expertise, preuve, au passage, de l’excellence de nos ingénieurs des Ponts et Chaussées.

En cette période où l’on réfléchit aux moyens de baisser les coûts et d’améliorer l’efficience de notre sphère publique, on pourrait faire de même avec la télévision, la météo, certains domaines de santé, de l’éducation… En fait, quand on y réfléchit bien la majorité des activités non régaliennes s’y prêterait. Voilà encore un beau projet pour l’Europe d’avoir des grands concessionnaires dans quelques services publics bien choisis et ce, sur une base plus large que celle du pays. Souhaitons bon vent à Veolia, porte-drapeau du génie français mais aussi preuve que le système de concession peut jouer un rôle important dans des domaines essentiels de la sphère publique. L’énergie du privé et la vision du public peuvent se conforter et amener une formidable productivité. C’est aussi une belle illustration de l’idée, qu’en s’effaçant, on peut parfois produire… plus grand que soi !

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