Archive | avril, 2023

Les limites du système social français mises en lumière par la crise des retraites

25 Avr

La retraite ! Il fallait évidemment faire quelque chose, ne jetons pas la pierre au gouvernement ! Et c’est forcément compliqué de demander aux gens de travailler plus.

Il n’empêche que ça aurait dû se passer mieux. Réfléchissons aux raisons de cette tourmente qui a surpris tous nos voisins européens et comment améliorer notre fonctionnement dans le domaine social.

Les retraites dans le domaine social

Nous sommes en effet dans le domaine social dont l’origine remonte au XVIe siècle avec Vincent de Paul qui s’est engagé dans la fondation de congrégations et d’œuvres sociales religieuses (enfants abandonnés, accidents de la vie, hospitalisations…). Les grandes entreprises ont, elles aussi, investi le domaine, initiative très injustement qualifiée de paternalisme. Puis, progressivement, l’État s’est saisi du sujet.

On a connu plus tard la naissance des syndicats patronaux et salariés. Progressivement, la sphère sociale a été gérée, dans le cas européen, par une sorte de ménage à trois.

C’est évidemment en France que l’État est devenu le plus actif et c’est ce qui explique les 57 % (avant le covid) de sa sphère publique et sociale (25 % pour le régalien et 32 % pour le social : record du monde).

Les préoccupations financières ont renforcé l’emprise de l’État : « je comble les trous des caisses mais j’ai un droit de regard sur ce qui se passe dans vos réunions ».

Petit à petit, nos concitoyens ont pris l’habitude de déléguer à l’État de plus en plus de responsabilités : « avec les impôts que je paye, je ne vais pas en plus m’occuper de tout cela ! ».

On a vu très vite venir les exhortations de l’État et du politique : « là, il y a un problème, je laisse syndicats et patronat discuter, et s’ils ne parviennent pas à se mettre d’accord, je légifère. »

Puis est arrivé le funeste concept de l’État providence, qui a donné la fausse impression que l’argent tombait du ciel. Le « quoi qu’il en coûte » du covid n’a pas arrangé les choses, les Français ayant complètement perdu la notion des coûts du système social.

Plus grave encore, cette implication de l’État a politisé les syndicats, ravis de ce nouveau champ d’action qui leur était offert : interagir directement avec les politiques, et ce, d’autant plus qu’ils avaient de moins en moins de support dans l’entreprise.

Il y a 50 ans, 30 % des employés étaient syndiqués, aujourd’hui, ils sont moins de 10 %. L’État a évidemment compensé la baisse des cotisations par des aides financières pas toujours très lisibles : un audit général communiqué au grand public ne ferait pas de mal à la démocratie.

La grève

Une incidence dans toute cette affaire, le droit de grève a évolué : on ne devrait pas utiliser le même mot pour qualifier une grève des employés voulant améliorer leur situation financière dans le cadre de l’entreprise et l’action d’un syndicat utilisant son monopole sur une profession dans un domaine indispensable à la vie des Français (essence ou transport), pour peser sur une discussion parlementaire en empoisonnant la vie des concitoyens.

Ce mélange des genres met en danger notre démocratie, sans parler du levier donné aux Black Blocs lors des manifestations.

Les problématiques réelles de la retraite

Les limites du système sont aussi apparues dans la présentation des problématiques de la retraite puisque les considérations financières ont été pratiquement absentes. Impossible de savoir si le système est en équilibre, si les déficits étaient de l’ordre de 10 milliards ou plutôt entre 30 et 40 milliards comme annoncé par le Commissaire au plan.

Le rapport du COR n’a pas été expliqué au public et a été considéré obscur par ceux qui l’ont lu, le qualifiant même de sorte d’auberge espagnole où on trouvait toujours des chiffres permettant  de défendre n’importe quelle thèse.

Une seule chose est sûre : partout ailleurs dans le monde, on part au plus tôt à 65 ans et l’allongement a été admis sans difficulté.

Le cas emblématique est celui de l’Allemagne : pourquoi cela s’est-il si bien passé ? Schroeder était aux commandes ; les dépenses publiques allemandes étaient montées à 57 % du PIB, essentiellement dans le cadre du rattachement de l’Allemagne de l’Est. Schroeder a jugé ces niveaux de dépenses trop élevés et a annoncé qu’il fallait les baisser de 12/13 points. Il a commencé à expliquer que l’argent manquait, il a convaincu et a maintenu sa politique, en prévenant que l’État ne comblerait plus le déficit des caisses de retraites.

Il a ensuite a invité patrons et syndicats à régler eux-mêmes le problème et tout s’est passé très rapidement ; l’âge de départ à la retraite a été repoussé à 65 ans et les citoyens, confrontés à la réalité des chiffres ont adopté une posture raisonnable.

L’État doit se recentrer

Une leçon simple à tirer de cet épisode : l’État doit se recentrer.

Il y a trois domaines dans l’économie : l’économie privée, l’État (régalien par nature) et la sphère sociale.

Dans la très difficile période qui s’ouvre sur le plan géopolitique, l’État doit placer toute son énergie dans ses fonctions régaliennes : armée, affaires étrangères, police, justice, immigration. La tâche est immense et le travail sera dur, très dur.

Le domaine social doit être impérativement redonné aux syndicats et au patronat, qui ont montré récemment qu’ils pouvaient tout à fait se mettre d’accord sur un sujet pointu : le partage de la valeur.

Revenons à des formules très simples, celles que nous enseignaient nos parents et grands-parents : « qui trop embrasse, mal étreint » et « à chacun son champ, les vaches sont bien gardées ».

Les responsabilités seront mieux définies, chacun saura ce qu’il a à faire. Cette redistribution des rôles simplifiera les choses, elle permettra aux entreprises de redonner toute leur mesure (la plus grande d’entre elles, le CAC40, montre de quel bois notre sphère privée est faite), et au Parlement de retrouver son rôle. Et la confiance reviendra.

Retrouvez d’autres articles sur le site de contrepoints.org

La stratégie est un jeu – Une interview de Pauline Laigneau

12 Avr

Voici une vidéo de plus d’une heure, un entretien avec la pétillante Pauline Laigneau

La science au secours de l’agriculture

3 Avr

Il y a d’autres façons de poser le problème des nappes phréatiques que celle qui consiste à organiser des manifestations comme celles à Sainte-Soline, quand on sait très bien qu’on donne aux black blocs une nouvelle occasion de mettre en danger, parce qu’il s’agit de cela, la vie de nos gendarmes et de nos policiers.

Cela d’autant plus que de nombreuses découvertes et de nouvelles technologies donnent en ce moment les moyens de reconstruire la qualité des sols et lutter efficacement contre l’assèchement des nappes.

Les causes de l’assèchement des sols

Pour cela, intéressons-nous à l’histoire.

L’agriculture sous sa forme actuelle a environ 7500 ans. Auparavant l’Homme était un chasseur- cueilleur.

L’utilisation d’engrais chimiques est une conséquence de la Première Guerre mondiale et donc une affaire récente. Les Allemands ont été dépouillés de leurs colonies et obligés de se nourrir avec les seules ressources de leur propre sol.

Arrivé au pouvoir, Hitler demande aux chimistes de réfléchir aux moyens d’améliorer les rendements agricoles. Cette demande fut exécutée très efficacement mais les engrais sont fondamentalement dérivés des explosifs et les phytosanitaires des gaz asphyxiants.

En 1945, les Américains débauchent les plus brillants des chimistes allemands et grâce à leur expertise ils développent l’industrie chimique américaine avec une agriculture intensive combinant labours profonds et engrais sophistiqués.

Des signes concordants montrent qu’est atteinte en ce moment la limite du système.

Le premier signe c’est l’augmentation de la profondeur des labours qui demande de faire appel à des tracteurs dont la puissance et la consommation deviennent déraisonnables.

Le deuxième signe c’est la quantité d’engrais utilisée par hectare qui double en 20 ans alors qu’on aurait pu s’attendre à un effet d’expérience et une consommation en décroissance.

La raison est très simple : la terre s’appauvrit en matière végétale et animale. La quantité de vers de terre au m3 s’effondre et on se prive de l’énorme travail qu’ils produisaient en créant des galeries souterraines d’environ 5000 km/ha. Les plantes deviennent paresseuses et attendent de plus en plus que leur nourriture vienne de l’extérieur au lieu d’aller la chercher elles-mêmes avec leur système racinaire.

Le résultat est qu’au fil du temps le sol se durcit, avec une double conséquence :

  1. Le ruissellement s’accélère, les excédents d’engrais vont dans les rivières
  2. Les nappes phréatiques s’assèchent progressivement

Cette lente dégradation se retrouve dans le prix des terres surexploitées : dans certaines régions elles sont trois fois moins chères à l’hectare que des terres fraîches.

L’agriculture c’est de l’industrie lourde. Il faut plusieurs euros de capital pour faire un euro de chiffre d’affaires. Au bout du compte les bénéfices de la culture ne compensent plus la perte de valeur des terres. Les agriculteurs se ruinent en travaillant, d’où leur désespoir.

Science et technique peuvent apporter des réponses

La première idée consiste à utiliser les effluents animaux et humains dont on a eu tendance à se débarrasser via le tout-à-l’égout alors qu’ils représentent une énorme valeur.

La seconde consiste à profiter de la mise au point et du perfectionnement des techniques de méthanisation. Celle-ci permet de capter très tôt les effluents et réduit drastiquement la durée pendant laquelle ils émettent du méthane. Elle les mélange avec des déchets de culture, extrait le méthane qu’ils contiennent, produit des engrais naturels et de la chaleur pouvant servir au chauffage domestique.

Cette technique beaucoup plus développée en Allemagne qu’en France y représente une activité significative au niveau macroéconomique, de l’ordre de 10 milliards d’euros.

La méthanisation démarre chez nous en ce moment et peut avoir un énorme impact surtout dans les régions d’élevage où la densité des effluents est forte.

Nouvelle révolution en perspective : faire digérer les résidus de méthanisation par des vers de terre. Les produits de cette opération peuvent être déposés au pied des plantes et redonner vie au sol en leur réapprenant à se nourrir grâce à leurs racines.

Ces opérations vont avoir deux effets : remonter la valeur des terres et augmenter les captations de CO2 d’un facteur très important.

Les plantes et surtout leurs racines vont grandir (ces dernières pouvant être multipliées par un facteur de 2,5). Les 12 millions et demi d’hectares cultivés fixant chaque année 250 millions de tonnes de CO2, on parle donc d’un montant additionnel de l’ordre de grandeur du total des émissions actuelles du pays.

Le développement de la méthanisation coche à peu près toutes les cases : réduction du déficit de la balance commerciale puisqu’il y aura beaucoup moins d’engrais à importer ; idem pour le gaz (un article récent du journal Le Figaro indiquait que le potentiel de gaz produit par une méthanisation est à peu près égal au volume importé avant le déclenchement de la guerre). La valeur des terres va  remonter, ce qui est une bonne nouvelle pour l’agriculteur. On résout sur la durée les problèmes de l’odeur des effluents, de la pollution des rivières et de l’assèchement des nappes phréatiques.

Ce peut être le démarrage de la méthanisation, une puissante et nouvelle industrie, domaine dans lequel la France et l’Europe peuvent prendre des positions de leader dans l’écologie circulaire.

Rien ne se fera sans l’appui du consommateur, il faudra inventer un label pour différencier les aliments issus de cette nouvelle économie circulaire.

Il faudra aussi continuer à consommer de la viande car sans elle il faudrait recourir aux engrais chimiques sauf à effondrer les rendements…

Le plus important est peut-être de redonner ainsi le moral aux agriculteurs. On ne le rappelle pas assez, ils nous nourrissent quotidiennement et sont très injustement accusés d’être des destructeurs de la planète. Cette nouvelle filière leur permettra de devenir des promoteurs actifs du rêve de l’économie circulaire.

Retrouvez d’autres articles sur le site contrepoints.org