Archive | juillet, 2022

Voici les réformes prioritaires pour sauver la France

21 Juil

Copier les politiques de ceux qui ont réussi, c’est non seulement une façon de se tirer d’un mauvais pas mais c’est construire l’Europe.

Aux dernières rencontres d’Aix, notre ministre de l’Économie Bruno le Maire expliquait à juste titre qu’il n’y avait rien de plus choquant que tant d’entreprises cherchent des salariés et au même moment toujours autant de chômage. Pour lui cette inadéquation était le deuxième sujet à traiter après la priorité du pouvoir d’achat.

Et si ces deux maux étaient tout simplement les deux conséquences d’un problème plus profond à régler ?

Le poison du keynésianisme à long terme

Appliqué trop longtemps le keynésianisme n’est-il pas plus un poison qu’un remède ? Et plus fondamentalement fonctionne-t-il en économie ouverte ?

Sans nous en rendre bien compte, nous payons aujourd’hui toute une série de décisions prises depuis une cinquantaine d’années.

1973 a vu coïncider la première crise de l’énergie et l’arrivée de nouveaux dirigeants politiques, Valéry Giscard d’Estaing succédant à Georges Pompidou. Ce n’était pas seulement une affaire de personnes mais une évolution très profonde de la philosophie économique. Le keynésianisme a alors été introduit par Lionel Stoleru et a succédé à la vision de Jacques Rueff qui suggérait au Général de Gaulle un État léger (30 % du PIB était la norme à tenir). Le mot d’ordre étant que dans un monde concurrentiel il faut être compétitif. Cela valait pour la sphère privée comme pour la sphère publique.

Lionel Stoléru vantait au contraire les effets positifs de la dépense publique comme stimulant de l’économie, fut-ce au prix d’un déficit public significatif. En 1973 se posait un problème réel de croissance avec le quadruplement du prix du pétrole. À cette époque, tous les pays ont adopté un gonflement conjoncturel des dépenses publiques mais y ont rapidement mis fin. La France est le seul pays à avoir accepté des déficits publics durant cinquante années. Le micro a été généreusement donné aux économistes keynésiens, les politiques n’étant par ailleurs pas mécontents de trouver une justification intellectuelle à un laxisme financier finalement assez commode.

Le problème c’est que 50 ans de déficit font grimper la dépense publique qui frôle aujourd’hui les 60 % du PIB. Cet écart par rapport à nos voisins, dont les sphères publique et sociale se situent autour de 40% du PIB, se retrouve dans le prix de revient de nos entreprises, il freine les exportations et est assurément une des raisons expliquant la désindustrialisation du pays.

Les prédictions de Jacques Rueff se sont donc réalisées.

La segmentation rapide de l’économie

Un détour sur la nature profonde de l’économie n’est pas inutile. Elle s’est profondément transformée. Combien d’entreprises dans l’économie moderne ? entre 3 et 4 millions, un chiffre considérable. Curieusement, l’économie s’est peu intéressée à cette problématique qui s’apparente à un grouillement de métiers interagissant les uns avec les autres. Si on considère qu’il existe 10 entreprises par créneau, cela équivaut à plusieurs centaines de milliers de créneaux. Le phénomène s’accélère actuellement avec Internet qui substitue ou fait éclater les anciens métiers.

Prenons l’exemple d’un seul créneau, le café soluble.

On est proprement stupéfait devant toutes ces techniques auquel ce métier fait appel : la production du café pour laquelle des régions entières, depuis des milliers d’années, se sont livrées une farouche concurrence pour produire les meilleurs cafés ; la transformation du café (torréfaction, production de la poudre…) ; et toutes les technologies utilisées dans les machines qui se sont succédé. Ce seul métier est un univers rempli de savoir-faire complexes et changeants.

Pour que cette économie fonctionne bien, il faut assurer une fluidité entre les créneaux qui décroissent et ceux qui les remplacent. Il faut donc pour cela un marché du travail fluide et des fiscalités raisonnables sur les dividendes et l’investissement, faute de quoi la croissance est freinée. Des progrès ont été récemment enregistrés avec le Prélèvement forfaitaire unique et une baisse des impôts de production est annoncée, mais sur 50 ans l’économie privée a souffert. C’est une des causes évidentes du chômage français, plus important que celui observé chez nos voisins.

L’apprentissage en entreprise

Il doit être la pierre angulaire de l’Éducation nationale.

Se pose alors la question : comment préparer nos jeunes à trouver leur place dans un monde si changeant ? Il ne peut pas y avoir une école pour chaque métier. Il faut réfléchir en termes de tronc commun, mais lequel ? Ce travail demande à l’évidence des échanges harmonieux confiants et réguliers entre l’école et l’entreprise.

Contrairement à ce qui se passe dans beaucoup de pays, notamment en Suisse, trop de méfiance règne encore même si les progrès depuis quelques temps sont évidents. Nombre d’enseignants considèrent encore l’entreprise comme un monde brutal, égoïste et rapace dont il faut protéger les élèves le plus longtemps possible. C’est un énorme handicap qu’il va falloir progressivement combler. Ce n’est pas si difficile, il suffit d’aller regarder de l’autre coté de nos frontières.

Tous ceux qui ont voyagé vous diront que le modèle mondial à copier est la Suisse qui a développé des systèmes d’apprentissage dans lesquels on permet aux enfants dès l’âge de 12 ans de travailler en entreprise.

Les Suisses ont installé deux filières : une filière générale et une filière technique, un système dual pour montrer qu’il n’y a pas de hiérarchie entre elles ; les ponts sont constants, c’est-à-dire qu’un enfant peut repasser de la filière technique à la filière générale quand il le souhaite. Les Suisses ont constaté et démontré que certains enfants avaient un sens concret naturellement plus développé, et d’autres étaient davantage portés sur l’abstraction. Contraindre les premiers à suivre une filière générale leur fait perdre leur temps et diminue l’efficacité de leur classe en freinant les seconds.

Il existe en fait un consensus mondial sur le tronc commun : apprendre à s’exprimer, avoir une bonne orthographe, savoir calculer, connaître l’histoire, la géographie, les grandes civilisations, une autre langue que la langue maternelle, des idées simples sur le bilan et le compte d’exploitation d’une entreprise. Peut-être plus important que tout, apprendre à apprendre car ils auront à le faire tout au long de leur vie.

Le conseil le plus important à donner aux responsables de l’Éducation nationale est de se rendre aux Pays-Bas et à Singapour pour constater comment les systèmes éducatifs se sont adaptés. Tous ces pays ont pour caractéristiques d’avoir un taux de chômage extrêmement faible ; de son côté, la Suisse a recours aux transfrontaliers pour satisfaire sa demande d’emplois.

L’apprentissage se développe en France, c’est une bonne nouvelle. Il faut évidemment aller beaucoup plus loin pour combler le retard évident qui la sépare des meilleurs.

Harmoniser les indemnités chômage avec l’Europe du Nord

Un voyage en Allemagne est utile, ainsi qu’un retour au début des années 2000.

À l’époque, la France fonctionnait bien, elle était faiblement endettée, les dépenses publiques se situaient en dessous des 50 % du PIB. L’Allemagne était l’enfant malade de l’Europe avec des dépenses publiques à 57 % du PIB et un chômage dépassant les 10 %, difficultés liées à la réunification (l’État avait injecté 1500 milliards d’euros à l’Est).

C’est à cette époque qu’on a assisté à des réformes que l’on peut qualifier de structurelles. La priorité du couple Schroeder/Hartz n’a pas été la défense du pouvoir d’achat mais la lutte contre le chômage qui, selon les mots de Schroeder, détruit la société en isolant les citoyens privés de travail. Le chômage est donc le mal absolu. Malgré les difficultés financières de l’État, à l’époque déficitaire et endetté, le principe de solidarité a été maintenu comme ciment de la société. Mais cette solidarité a été combinée avec une forte dose d’exigence. « Nous sommes prêts à aider mais en échange il faut faire un effort », le fameux « fördern und fordern ».

Le mot d’ordre a été la solidarité exigeante, ou « il vaut mieux un job pas tout à fait satisfaisant que l’horreur du chômage même bien payé à la maison ». Les indemnités chômage ont été conçues et calées dans cet esprit, les chômeurs trop difficiles sur les offres proposées perdaient leurs allocations. Cette philosophie associée à une réforme du temps partiel a permis de ramener en cinq ans le chômage sous la barre des 5 %, niveau qui est aujourd’hui la norme dans toute l’Europe du Nord.

À l’époque où l’Allemagne prenait ces décisions courageuses, Lionel Jospin était Premier ministre. Denis Olivennes, normalien, énarque et conseiller de Bérégovoy disait que la France avait fait le choix d’un chômage bien rémunéré.

Toucher aux indemnités chômage est un sujet très sensible car évidemment, certains souffrent et ont du mal à se recaser malgré de réels efforts. Mais la tricherie existe aussi, une partie de la population au chômage ne cherche pas de travail tout simplement parce qu’elle n’y a pas intérêt. En accumulant les aides de toutes sortes, on peut très bien rester sans emploi et avoir ponctuellement un travail non déclaré.

L’urgent ne doit pas chasser l’important

Pouvoir d’achat ou chômage ? Où mettre la priorité ? La situation est compliquée, il faut rester unis et ne jeter la pierre à personne… mais éviter que l’urgent ne chasse l’important.

Le pouvoir d’achat est faible à cause des erreurs décrites plus haut. Les économistes n’ont pas assez dit qu’il y a cinquante ans, le le PIB par tête de la Suisse était le même que le nôtre. Il est aujourd’hui 2,25 fois plus élevé. C’est la preuve que les théories keynésiennes ne fonctionnent pas. Les tickets et boucliers concoctés actuellement sont dérisoires au regard de l’écart de pouvoir d’achat avec la Suisse. Il faut donc s’attaquer aux racines des problèmes en calant les indemnités chômage sur ce que font nos voisins et en installant un système performant d’apprentissage.

Copier les politiques de ceux qui ont réussi, c’est non seulement une façon de se tirer d’un mauvais pas mais c’est construire l’Europe.

Sans oublier que la meilleure façon d’aider les Ukrainiens c’est de retrouver rapidement des excédents budgétaires et une compétitivité qui permettront de les soutenir économiquement.

Cet article est paru dans Contrepoints, le journal libéral de référence en France

Comment réformer notre système de retraite ?

11 Juil

Pour sortir des blocages politiques sur la réforme des retraites en France, qui sont aussi des blocages culturels, l’ancien chef d’entreprise et professeur de stratégie Xavier Fontanet suggère de s’inspirer des expériences étrangères. L’une des idées nouvelles est celle du « réemploi », qui permet aux salariés qui aiment leur travail d’adapter leur sortie de la vie active.

Il y a au moins six conditions à respecter pour réformer paisiblement notre système de retraite. La première est de faire preuve d’humilité et de s’inspirer des décisions qu’ont prises nos voisins : tous ont augmenté l’âge de départ à un minimum de 65 ans, sans évoquer le cas japonais ou l’on vise les 70 ans. La seconde condition est d’expliquer que nous sommes arrivés à des niveaux d’endettement dangereux pour l’autonomie du pays. Il faut donc baisser les dépenses publiques et sociales pour retrouver un excédent budgétaire. La plus grosse des dépenses étant, de très loin, la retraite (14,8% du PIB), il faut ramener le chiffre de 10 à 11% faute de quoi, c’est l’indépendance financière de notre pays, sa compétitivité globale et son système social qui seront, un jour, mis en cause. L’Allemagne a réussi cette prise de conscience au début des années 2000. Le chancelier de l’époque, Gerhard Schröder, a alors réformé les retraites en sortant du paritarisme. Il a expliqué que l’État n’avait pas les moyens de combler les trous. Les partenaires sociaux ont assumé, ont fait les calculs et compris qu’il fallait porter l’âge de la retraite à 65 ans.

Raisonner en termes de durée

La troisième condition est de casser l’idée qu’il faut chercher l’argent « là où il est est », autrement dit chez les cent plus grandes fortunes du pays. C’est une idée complètement fausse : non seulement le niveau de cette fortune (750 milliards d’euros avant la crise récente) est beaucoup trop faible vis-à-vis du problème, mais ces fortunes sont investies dans des entreprises, donc cet argent n’est pas liquide. Le sortir pour financer des dépenses reviendrait à donner le contrôle de ces entreprises leaders à l’étranger en une demi-douzaine d’années, et ne ferait que repousser le problème. 

La capitalisation est en France un gros mot. On s’est tout simplement ruiné en se privant des services du marché pour des raisons purement doctrinales.

Une autre condition est de raisonner en termes de durée de travail, comme l’ont fait les pays qui ont réussi les réformes : un jeune ayant commencé à travailler à 17 ans aura 62 ans après 45 années de travail alors qu’un diplômé qui a eu un travail moins dur (au moins physiquement) et qui a commencé à travailler à 25 ans (du fait d’études supérieures longues) n’aura accumulé à 62 ans que 37 années de travail. Raisonner en termes d’âge uniforme crée des complications et par voie de conséquence des tensions.

L’espérance de vie

La cinquième condition est de respecter l’arithmétique : quand la décision a été prise de la retraite à 60 ans en 1983, l’espérance de vie moyenne était de 75 ans, la durée moyenne de la retraite était donc de 15 ans. Depuis, la durée de vie a augmenté d’un trimestre par année, soit une espérance de vie de 85 ans. Le temps de retraite est aujourd’hui 50% plus long avec une date de départ à 62 ans. Les conséquences sont considérables : 3 cotisants par retraité en 1983, 1,7 maintenant. Il y a certes eu des gains de productivité pendant cette période, mais ils sont très loin de faire la maille : le système de répartition est déséquilibré. C’est une très grave responsabilité de ceux qui ont instauré la retraite à 60 ans de n’avoir pas expliqué au départ qu’on serait obligé de changer les paramètres si on voulait garantir sa durée. 

L’idée du « perennial réemployé » jusqu’à 73 ans et celle de l’actionnariat salarié peuvent être deux coups de pouce puissants.

La sixième condition suppose un minimum de connaissance en termes de finances : la capitalisation des entreprises croit plus vite que le PIB. C’est un phénomène universel et intemporel. L’un des plus vieux marchés boursiers du monde, le Dow Jones a 230 ans. Il a connu une croissance moyenne de 4,5% par an donc, dividendes compris, environ 6% de rentabilité par an. Notre indice, le CAC 40, était à 400 quand la décision fut prise de choisir la technique de la répartition, il est à 6000 aujourd’hui, soit une multiplication par 15 et une croissance de 7,5% par an. Tous les pays qui se sont appuyés sur la capitalisation ont une retraite qui coûte beaucoup moins cher : la France lui consacre 14,8% de son PIB la Suisse 7,5% ! Les économistes qui ont passé leur temps à lutter contre la capitalisation n’ont pas rendu service au pays. La capitalisation est en France un gros mot. On s’est tout simplement ruiné en se privant des services du marché pour des raisons purement doctrinales. Il faut introduire le concept de capitalisation dans le système.

Le concept de réemploi

Les bonnes idées venant souvent de l’extérieur, il est utile de suivre l’évolution des mentalités en particulier en Asie ou la notion même de retraite est mise en cause. L’idée là-bas est de distinguer une période de retraite active et une période que l’on peut qualifier de vraie retraite. Singapour vient de lancer le concept de « réemploi ». La raison est double : une pénurie sans précédent de main d’œuvre et le fait que les trois quarts des Singapouriens sont prêts à prendre leur retraite plus tard. Ils considèrent que l’activité maintient en bonne santé, ils veulent garder leurs connexions sociales, ils sont prêts à des efforts pour servir leur pays et enfin ils aiment le travail qui est une fierté et un accomplissement. L’idée du réemploi est la suivante : quand vous partez à la retraite, vous pouvez être réembauché par votre employeur. Vous aurez un travail plus léger, orienté sur l’encadrement et la transmission d’expérience. Pour inciter les entreprises à le faire (ce qui réduit considérablement le coût de la retraite puisque pendant la période de réemploi, c’est l’entreprise qui verse le salaire), les charges sociales sont quasiment à zéro. Cette innovation ne va pas tout résoudre, mais certainement alléger le financement de la retraite. Le contrat de réemploi va aujourd’hui jusqu’à 70 ans mais il est envisagé de passer à 73 ans. Rappelons qu’en 1960, le PIB par tête des Singapouriens était le tiers du nôtre et qu’il est — excusez du peu —plus de deux fois le nôtre aujourd’hui !

L’actionnariat salarié

Voilà une belle idée à creuser. On peut en rajouter une autre : ajouter un zeste de capitalisation, la bonne façon de faire étant l’encouragement de l’actionnariat salarié. Bon nombre d’entreprises l’ont pratiqué depuis longtemps en démontrant qu’un employé qui a cotisé toute sa vie 5% de son salaire peut quasiment doubler sa retraite légale avec le capital qu’il a accumulé. Pour encourager la formule, le gouvernement pourrait baisser par exemple à 15% la fiscalité des actions dont l’origine est l’actionnariat salarié. Au vu la gravité de la situation, on peut raconter ce que l’on veut, sauf à baisser les pensions significativement, on ne pourra pas éviter un allongement de la durée de travail si on veut garder le système. L’idée du « perennial réemployé » jusqu’à 73 ans et celle de l’actionnariat salarié peuvent être deux coups de pouce puissants. Le rôle des médias sera capital dans la réforme, car la pédagogie sera… décisive.

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