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Xavier Fontanet: «Il existe des solutions pour baisser intelligemment les dépenses publiques»

22 Juin

Xavier Fontanet par Fabien Clairefond

TRIBUNE – Alors que la note financière de la France poursuit sa dégradation et que les candidats aux législatives rivalisent de propositions démagogiques, il faudrait imposer un régime de sportif à l’État-providence en s’inspirant des enseignements de l’économiste libéral Frédéric Bastiat, plaide l’ex-PDG du groupe Essilor.

En cette période de campagne électorale, les discussions sur le pouvoir d’achat vont aller bon train. On va suggérer ici des baisses de la TVA, là des hausses de salaires, là encore des indemnités plus élevées pour rendre le chômage moins douloureux. Ces mesures soulageront les peines, mais seulement à très court terme. À moyen terme, c’est une tout autre affaire, elles vont provoquer une série de réactions en chaîne.

Il est un principe qu’il faudrait absolument enseigner dans nos écoles, il est simple et change votre vie quand vous l’avez compris : c’est le principe de l’action et de la réaction. On ne peut juger de la qualité d’une action qu’une fois pris en compte l’effet des réactions qu’elle a produites. Les mesures citées ci-dessus vont créer des surcoûts sociaux et fiscaux qui finiront par se loger dans les prix de revient des entreprises. Les premières qui vont souffrir sont celles qui sont exposées à une concurrence étrangère de pays dont la sphère publique et sociale est plus légère que la nôtre. Nos exportations vont chuter et la désindustrialisation continuera. Notre balance commerciale se dégradera encore plus, cela freinera l’économie et les rentrées fiscales, avec, au bout du bout, une montée de la dette.

L’État, quand il vous redonne du sang dans le bras droit pour vous mettre en bonne santé, il est obligé de le prélever dans le bras gauche, mais il doit garder une partie pour gérer son périmètre qui s’étend.

À ne s’occuper que des conséquences sans remonter à la source des problèmes, on renforce les causes qui les ont produits. Ce petit jeu dure depuis des décennies. Jugeons donc sur cinquante ans le PIB par tête des pays avec lesquels nous sommes en relation. Le résultat que chacun peut constater en allant sur les sites de la Banque mondiale est édifiant. Nous dégringolons régulièrement dans les classements de PIB par tête : le PIB par tête de la Suisse, qui était le même que le nôtre à la mort du regretté Pompidou en 1974, est deux fois et demie plus élevé aujourd’hui. Le smic en Suisse est à 5000 euros, les problèmes de pouvoir d’achat ne sont évidemment pas les mêmes à Lausanne et à Paris. On va vous dire : petit pays ! Très bien, regardons les États-Unis : l’écart est pratiquement de 1 à 2. On va vous dire : oui, mais ce ne sont pas des Européens… Prenez les Pays-Bas ou le Danemark : on parle de 50 %.

La mort de Pompidou provoqua l’arrivée d’une nouvelle génération d’hommes politiques qui, voulant marquer leur différence, se sont appuyés sur des visions différentes du rôle de l’État dans l’économie

La mort de Pompidou provoqua l’arrivée d’une nouvelle génération d’hommes politiques qui, voulant marquer leur différence, se sont appuyés sur des visions différentes du rôle de l’État dans l’économie. Pour Jacques Rueff, l’inspirateur de la vision de De Gaulle et de Pompidou, l’État devait rester sous les 30 % du PIB. La nouvelle génération a été séduite par la pensée de Keynes, qui prônait la dépense publique comme accélérateur de l’économie. C’est en 1974 qu’a eu lieu la rupture. Elle coïncidait avec la crise du pétrole, il n’était pas illégitime de doper l’économie pendant cette période troublée. Tout le monde l’a fait, mais seulement pendant deux ou trois ans. Ici, en France, ce fut différent, nos hommes politiques, de droite et de gauche, ont vu dans ces théories séduisantes un blanc-seing à leur politique de déficit, et les économistes prônant cette nouvelle approche se sont vu donner le micro. Le résultat est simple : la dépense publique est passée en cinquante ans de 30 % du PIB à 58 %, ce qui fait que le poids relatif de la sphère publique à la sphère privée a plus que… triplé !

Quand on compare les taux de croissance sur cinquante ans des économies avec les parts de dépenses publiques dans le PIB, on trouve une relation très exactement inverse. Les dépenses publiques qui devaient stimuler les économies les ont, de façon évidente, complètement freinées. Historiquement, l’ajustement de la compétitivité se faisait par des dévaluations.L’entrée dans l’Europe et l’adoption de l’euro supposait que la France cale ses politiques financières sur celles de nos voisins. Ce ne fut pas le cas. Cerise sur le gâteau, Jacques Chirac a lancé l’idée séduisante (mais funeste !) de l’État-providence qui laisse penser que l’argent tombe du ciel. L’idée que l’État n’est pas comme un ménage ni comme une entreprise est rentrée dans les mœurs.

Historiquement, l’ajustement de la compétitivité se faisait par des dévaluations. L’entrée dans l’Europe et l’adoption de l’euro supposait que la France cale ses politiques financières sur celles de nos voisins. Ce ne fut pas le cas

Tout un chacun sait que quelque chose ne va pas. On peut taxer les riches, mais l’expérience récente a montré que les gens vendent leurs entreprises et partent. Les 2 millions d’emplois récemment créés sont en grande partie le fruit de la suppression de l’ISF et de la baisse de fiscalité sur les dividendes. La note financière du pays est en train de se casser la figure, nos hommes politiques, de gauche et de droite, doivent reconnaître qu’il faut bouger.

Le fait nouveau, c’est qu’il y a eu dans le monde des cas exemplaires de pays qui ont réduit de façon significative les dépenses publiques, et que cela a dopé leur économie : Canada, Nouvelle-Zélande et, plus près de nous, Allemagne. Ces pays ont fait des réformes profondes, le Canada sur les dépenses régaliennes, la Nouvelle-Zélande sur la santé et la retraite, l’Allemagne sur le droit du travail et les relations entre l’État et la sphère sociale. Dans ces trois cas, les dépenses publiques ont été baissées de l’ordre de 12 points de PIB sur huit-dix ans. Les faits ont montré que cette baisse a en réalité fait croître l’économie du pays.

Le moment est propice pour populariser la pensée de Bastiat, génie français, respecté dans le monde entier à l’insu de nos compatriotes, et son fameux Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas. Il faut comprendre qu’une dépense publique – un rond-point, par exemple -, ça se voit. Ce qu’on ne voit pas, c’est la dépense privée qui a été empêchée. Un rond-point, c’est effectivement une dépense qui va permettre de booster l’économie locale. Ce qu’on ne voit pas, c’est que c’est le résultat d’un impôt imposé à un particulier. Prenons un exemple qui fait comprendre les choses. Ça a pu être pris à un entrepreneur qui aurait acheté quelques machines-outils de plus ; elles auraient permis de produire des engrenages exportés, ce qui aurait créé des emplois durables, arrangé la balance commerciale et réduit la dette.

Les 2 millions d’emplois récemment créés sont en grande partie le fruit de la suppression de l’ISF et de la baisse de fiscalité sur les dividendes

L’autre parabole de Bastiat, celle du bras gauche et du bras droit, complète l’explication. L’État, quand il vous redonne du sang dans le bras droit pour vous mettre en bonne santé, il est obligé de le prélever dans le bras gauche, mais il doit garder une partie pour gérer son périmètre, qui s’étend. Croyant nous renforcer, sur la durée, il monte les coûts de gestion de la société. Le jockey (l’État français) est devenu au fil du temps plus lourd que son cheval ; il lui prend son avoine et empêtre ses pas.

Il est temps de revenir, en ce qui concerne la dépense publique et sociale, dans la moyenne européenne. Les solutions pour baisser intelligemment les dépenses publiques sont nombreuses, il suffit de copier ce qui a marché ailleurs : des contrats seniors pour permettre à ceux qui veulent travailler plus longtemps, ce qui soulagera les caisses de retraite ; un puissant développement de l’actionnariat salarié qui donne un fort complément aux retraites ; la sortie du paritarisme, qui permettra aux partenaires sociaux de mieux mesurer le coût de leurs décisions ; la suppression d’une couche régionale et la fusion des communes qui sont trop petites ; l’arrêt de certains ministères ; la mise en Bourse de La Poste ; la vente de France Télévisions ou son apport à un grand groupe de médias coté ; le recours à des concessions et à la sphère bénévole pour reprendre des activités de la sphère publique ; l’organisation d’une saine concurrence entre éducation privée et publique, puisqu’il est évident que le coût de cette dernière est moins élevé… Sans aller jusqu’à vendre La Joconde,il y a beaucoup de choses à faire.

Notre pouvoir d’achat n’est en fait que l’envers de notre compétitivité globale. Il faut adopter à partir de maintenant un régime de sportif pour que notre sphère publique redevienne svelte et permette à nos entreprises de donner enfin toute leur mesure.

Retrouvez cet article sur le site du FIGARO. Vous pourrez aussi l’écouter en audio, en allant sur le site du figaro.fr.

TRIBUNE : Pourquoi il faut renforcer l’actionnariat salarié

1 Déc

Par Alexandre Devecchio

Pour sortir de l’opposition entre actionnaires et salariés, l’ex-PDG du groupe Essilor propose de renforcer la participation et l’association au sein des entreprises.

Le débat sur le partage de la valeur a toujours passionné les Français et reprend vigueur en ce moment. Il est trop souvent présenté comme une opposition entre des actionnaires avides et des salariés sacrifiés. Ce n’est pas une vision juste, les chiffres montrant que la part des salaires dans la valeur ajoutée est stable et que celle-ci est, en France, parmi les plus élevées au monde.

Apprenons donc à bien regarder les faits et réfléchissons aux moyens de créer une relation harmonieuse et bénéfique entre l’entreprise et ses collaborateurs. La dernière initiative significative est venue du général de Gaulle avec ses ordonnances de 1967 sur la participation.

Le progrès à faire aujourd’hui en matière de partage de valeur, c’est de passer à un ordre supérieur, faire participer le personnel, non plus seulement au résultat que dégage chaque année l’entreprise, mais à l’augmentation de sa capitalisation.

Il est clair que les marchés financiers ont une croissance plus élevée que l’économie. L’indice le plus ancien, le Dow Jones, a connu une croissance de 4,5% l’an sur plus de deux cents ans quand celle de l’économie était, en ordre de grandeur, moitié moindre. Et ceci bien qu’on ait traversé des guerres et plusieurs crises graves. Même constatation avec notre CAC 40 sur une plus courte période.

Si on souhaite aujourd’hui associer les citoyens français à cette croissancede la valeur, le moyen le plus efficace est de renforcer l’actionnariat salarié là où il existe, et de le favoriser là où il n’existe pas. L’effet ne sera pas instantané maisse construira sur la durée, à condition que les collaborateurs gardent leurs actions: l’idée de cette réforme n’est pas un coup de pouce au pouvoir d’achat, mais la constitution d’une épargne sur le long terme.

L’actionnariat salarié inquiète certains politiciens et certains syndicats arguant qu’il y a un risque: «On ne peut pas pousser une formule qui peut amener des collaborateurs, à perdre à la fois leur métier et leurs économies.»

Le risque existe, c’est vrai, mais c’est cette prise de risque assumée qui ennoblit et justifie le profit. L’actionnariat salarié doit donc être le résultat d’un choix personnel. Il ne faut pas en vouloir à ceux qui ne veulent pas prendre de risque, c’est leur décision… mais il ne faut qu’ils viennent se plaindre s’ils sont passés à côté d’une création de valeur significative.

Dès que la détention dépasse vingt ans, on pourrait suggérer un taux de 20 %

Une formule réduisant le risque a été trouvée par les Américains chez qui les employés investissent dans les actions de leur entreprise mais aussi dans un fond diversifié, sachant que la part consacrée aux actions de l’entreprise ne peut pas excéder 50% du total.

Autre approche, dans le cas des entreprises cotées, on peut abonder les sommes investies par le salarié et proposer une décote sur l’action. Si chaque euro investi est doublé par abondement et si l’action peut être achetée 25% sous le cours, 1 euro en produit 2,5: on peut dire que le risque est couvert. Une bonne raison pour laquelle ces deux dispositifs doivent être maintenus.

On a en France une longue expérience de l’actionnariat salarié qui fonctionne depuis une cinquantaine d’années dans de grandes entreprises cotées (50 milliards investis). Il est démontré que les entreprises à fort actionnariat salarié sont plus rentables que les autres!

Là où le bât blesse, c’est dans les PME où il est faible (1,5 milliard). Il monte néanmoins rapidement grâce aux entreprises de Private Equity qui associent de plus en plus, le personnel au capital dans leurs opérations à la fois car c’est juste mais aussi parce qu’ils ont bien vu la motivation du personnel que cette politique d’association provoquait.

Pour prendre conscience de la fécondité de l’idée de l’actionnariat salarié, il faut faire soi-même le calcul avec un tableur. Le capital moyen d’un ménage est en France de 280.000 euros. Le revenu moyen mensuel du même ménage est de 2 340 euros, soit 28.000 euros annuels. Si on épargne 7% de son salaire chaque année, sous forme d’actionnariat salarié, on aura cumulé après quarante-cinq ans de travail… 280.000 euros. Pour une rentabilité du capital de 4 % (le CAC fait 6 % depuis sa création). Inutile de dire que la retraite dudit ménage aura une tout autre allure, elle peut quasiment doubler!

Au-delà de cette coïncidence, il y a une dimension existentielle dans cette affaire: le collaborateur passe d’un statut de salarié actionnaire à celui d’actionnaire salarié (son investissement dans l’entreprise représentant, à sa retraite, 50 % de ses biens). Sur la longue durée, la relation entre les citoyens et les entreprises peut en être profondément changée.

D’une pierre deux coups

C’est là que le législateur pourrait innover et récompenser ce capital fidèle en baissant très significativement la fiscalité sur la plus-value. Dès que la détention dépasse vingt ans, on pourrait suggérer un taux de 20%. Notre pays pourrait ainsi faire d’une pierre deux coups: il apporterait un levier puissant au financement des retraites et donnerait de la France l’image d’un pays qui récompense le capitalisme patient.

Autre dimension essentielle: la participation à la gouvernance. Si l’ensemble des salariés regroupent leurs actions, ils vont au bout d’un certain temps en avoir suffisamment pour justifier la demande d’un poste au conseil d’administration. Ce poste, accordé au titre de l’actionnariat, permettra au personnel de participer aux décisions, il aura plus de valeur symbolique que ceux qui lui ont déjà été octroyés par la loi… parce qu’il aura été payé. La participation à la gouvernance crée un «affectio societatis».

Il ne faut pas oublier la fonction publique ; une façon simple de le faire est d’élargir le bénéfice de la Préfon, système de retraite, à base de capitalisation, réservé à la haute fonction publique. Celle-ci fonctionne depuis des dizaines d’années et pourrait être offerte à l’ensemble du personnel tout en étant investie majoritairement… dans le CAC 40!

De grands pays ont perçu l’intérêt à associer le personnel au capital des entreprises: les États-Unis, le Canada et l’Angleterre organisent en ce moment des campagnes visant à encourager l’actionnariat salarié. Personne n’a le droit de dire ce qu’aurait fait le général de Gaulle s’il était vivant. Mais plus on étudie le sujet, plus il paraît évident qu’il aurait vu dans son accélération le prolongement naturel des ordonnances de 1967.

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