
Par Alexandre Devecchio
Pour sortir de l’opposition entre actionnaires et salariés, l’ex-PDG du groupe Essilor propose de renforcer la participation et l’association au sein des entreprises.
Le débat sur le partage de la valeur a toujours passionné les Français et reprend vigueur en ce moment. Il est trop souvent présenté comme une opposition entre des actionnaires avides et des salariés sacrifiés. Ce n’est pas une vision juste, les chiffres montrant que la part des salaires dans la valeur ajoutée est stable et que celle-ci est, en France, parmi les plus élevées au monde.
Apprenons donc à bien regarder les faits et réfléchissons aux moyens de créer une relation harmonieuse et bénéfique entre l’entreprise et ses collaborateurs. La dernière initiative significative est venue du général de Gaulle avec ses ordonnances de 1967 sur la participation.
Le progrès à faire aujourd’hui en matière de partage de valeur, c’est de passer à un ordre supérieur, faire participer le personnel, non plus seulement au résultat que dégage chaque année l’entreprise, mais à l’augmentation de sa capitalisation.
Il est clair que les marchés financiers ont une croissance plus élevée que l’économie. L’indice le plus ancien, le Dow Jones, a connu une croissance de 4,5% l’an sur plus de deux cents ans quand celle de l’économie était, en ordre de grandeur, moitié moindre. Et ceci bien qu’on ait traversé des guerres et plusieurs crises graves. Même constatation avec notre CAC 40 sur une plus courte période.
Si on souhaite aujourd’hui associer les citoyens français à cette croissancede la valeur, le moyen le plus efficace est de renforcer l’actionnariat salarié là où il existe, et de le favoriser là où il n’existe pas. L’effet ne sera pas instantané maisse construira sur la durée, à condition que les collaborateurs gardent leurs actions: l’idée de cette réforme n’est pas un coup de pouce au pouvoir d’achat, mais la constitution d’une épargne sur le long terme.
L’actionnariat salarié inquiète certains politiciens et certains syndicats arguant qu’il y a un risque: «On ne peut pas pousser une formule qui peut amener des collaborateurs, à perdre à la fois leur métier et leurs économies.»
Le risque existe, c’est vrai, mais c’est cette prise de risque assumée qui ennoblit et justifie le profit. L’actionnariat salarié doit donc être le résultat d’un choix personnel. Il ne faut pas en vouloir à ceux qui ne veulent pas prendre de risque, c’est leur décision… mais il ne faut qu’ils viennent se plaindre s’ils sont passés à côté d’une création de valeur significative.
Dès que la détention dépasse vingt ans, on pourrait suggérer un taux de 20 %Une formule réduisant le risque a été trouvée par les Américains chez qui les employés investissent dans les actions de leur entreprise mais aussi dans un fond diversifié, sachant que la part consacrée aux actions de l’entreprise ne peut pas excéder 50% du total.
Autre approche, dans le cas des entreprises cotées, on peut abonder les sommes investies par le salarié et proposer une décote sur l’action. Si chaque euro investi est doublé par abondement et si l’action peut être achetée 25% sous le cours, 1 euro en produit 2,5: on peut dire que le risque est couvert. Une bonne raison pour laquelle ces deux dispositifs doivent être maintenus.
On a en France une longue expérience de l’actionnariat salarié qui fonctionne depuis une cinquantaine d’années dans de grandes entreprises cotées (50 milliards investis). Il est démontré que les entreprises à fort actionnariat salarié sont plus rentables que les autres!
Là où le bât blesse, c’est dans les PME où il est faible (1,5 milliard). Il monte néanmoins rapidement grâce aux entreprises de Private Equity qui associent de plus en plus, le personnel au capital dans leurs opérations à la fois car c’est juste mais aussi parce qu’ils ont bien vu la motivation du personnel que cette politique d’association provoquait.
Pour prendre conscience de la fécondité de l’idée de l’actionnariat salarié, il faut faire soi-même le calcul avec un tableur. Le capital moyen d’un ménage est en France de 280.000 euros. Le revenu moyen mensuel du même ménage est de 2 340 euros, soit 28.000 euros annuels. Si on épargne 7% de son salaire chaque année, sous forme d’actionnariat salarié, on aura cumulé après quarante-cinq ans de travail… 280.000 euros. Pour une rentabilité du capital de 4 % (le CAC fait 6 % depuis sa création). Inutile de dire que la retraite dudit ménage aura une tout autre allure, elle peut quasiment doubler!
Au-delà de cette coïncidence, il y a une dimension existentielle dans cette affaire: le collaborateur passe d’un statut de salarié actionnaire à celui d’actionnaire salarié (son investissement dans l’entreprise représentant, à sa retraite, 50 % de ses biens). Sur la longue durée, la relation entre les citoyens et les entreprises peut en être profondément changée.
D’une pierre deux coups
C’est là que le législateur pourrait innover et récompenser ce capital fidèle en baissant très significativement la fiscalité sur la plus-value. Dès que la détention dépasse vingt ans, on pourrait suggérer un taux de 20%. Notre pays pourrait ainsi faire d’une pierre deux coups: il apporterait un levier puissant au financement des retraites et donnerait de la France l’image d’un pays qui récompense le capitalisme patient.
Autre dimension essentielle: la participation à la gouvernance. Si l’ensemble des salariés regroupent leurs actions, ils vont au bout d’un certain temps en avoir suffisamment pour justifier la demande d’un poste au conseil d’administration. Ce poste, accordé au titre de l’actionnariat, permettra au personnel de participer aux décisions, il aura plus de valeur symbolique que ceux qui lui ont déjà été octroyés par la loi… parce qu’il aura été payé. La participation à la gouvernance crée un «affectio societatis».
Il ne faut pas oublier la fonction publique ; une façon simple de le faire est d’élargir le bénéfice de la Préfon, système de retraite, à base de capitalisation, réservé à la haute fonction publique. Celle-ci fonctionne depuis des dizaines d’années et pourrait être offerte à l’ensemble du personnel tout en étant investie majoritairement… dans le CAC 40!
De grands pays ont perçu l’intérêt à associer le personnel au capital des entreprises: les États-Unis, le Canada et l’Angleterre organisent en ce moment des campagnes visant à encourager l’actionnariat salarié. Personne n’a le droit de dire ce qu’aurait fait le général de Gaulle s’il était vivant. Mais plus on étudie le sujet, plus il paraît évident qu’il aurait vu dans son accélération le prolongement naturel des ordonnances de 1967.
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