« Le grand-père et le Président ». Chapitre 2 : la réforme du système de santé en Nouvelle-Zélande

25 Mai

La scène se passe en 2027, une discussion entre un grand-père, Auguste, 90 ans et toute sa tête, et son petit-fils Antoine, qui en a 40. Auguste a vécu en province, il a fait toute sa carrière en entreprise, il dispose, de par son métier, d’une grande expérience internationale. Antoine, son petit-fils, lui, a vécu à Paris, a fait l’ENA et travaillé dans l’administration, puis dans les cabinets ministériels. Il est entré en politique et vient d’être élu président de la République. Il a l’habitude de demander conseil à Auguste, avec lequel il a un lien très fort. Dans ce 2e chapitre, nous les écoutons deviser sur la réforme du système de santé en Nouvelle-Zélande.

Chapitre 2 : La santé en Nouvelle- Zélande, une vision autre que celle de l’Etat protecteur ou de l’Etat-Providence.

Antoine
Grand-père, on m’a parlé de la Nouvelle-Zélande en me disant qu’ils avaient fait une réforme radicale de leur système de santé, j’ai un peu de temps. Je sais que tu as eu des activités dans ce pays. Peux-tu me parler de cette réforme ?

Auguste  
Bien sûr ! De tout ce que j’ai pu voir dans le monde, c’est peut-être ce qu’il y a eu de plus détonnant ; c’est lié à la personnalité du Premier ministre, Roger Douglas, un être exceptionnel. C’est lui le concepteur et l’artisan du changement.

Antoine
L’importance des personnes… Un livre à écrire.

Auguste
En fait Roger Douglas était le fils d’un ouvrier agricole. Son père travaillait dans une porcherie industrielle. La vie était dure pour la famille Douglas. Roger Douglas était socialiste, il est rentré tard en politique, mais il était tellement brillant qu’il est devenu ministre des Finances et Premier ministre.

Antoine
Pas beaucoup de Premiers ministres fils d’ouvriers, tu en connais d’autres ?

Auguste
De tête, je dirais Lionel Jospin et José Luis Zapatero.

Ses responsabilités à la tête du gouvernement l’ont mis très vite en contact avec le monde extérieur (les Néo-Zélandais ont des produits agricoles qui se vendent dans le monde entier, les accords commerciaux internationaux sont clé pour le pays, il a eu un excellent ministre des Finances, Ruth Richardson). Ces contacts avec l’international l’ont fait considérablement évoluer. Son talent est d’avoir trouvé les mots pour expliquer à ses amis socialistes les ressorts de l’économie de marché et de la concurrence.

Antoine
C’est une chance pour un pays d’avoir un Premier ministre, socialiste à l’origine, qui s’est frotté au business mondial et qui s’est converti à l’économie de marché. A-t-il laissé une trace de sa pensée et de son œuvre dans un livre que je pourrais étudier ?

Auguste
Oui, bien sûr, il a écrit un livre remarquable, Unfinished business, procure-le toi et lis-le, crayon en main, ça t’inspirera. Il est toujours vivant, je serais toi, j’irais le voir. Rien ne remplace une rencontre.

Antoine
‍C’est noté.

Auguste
Roger Douglas connaissait bien la psychologie des gens qui étaient en bas de l’échelle sociale et son obsession était que cette partie de la population s’assume. L’État s’était tellement développé en Nouvelle-Zélande qu’un grand nombre des citoyens était complètement subventionné, bien des décisions de la vie quotidienne ne leur appartenait plus : quelle école pour les enfants ? Où habite-t-on ? Parallèlement se développait l’idée du droit à la gratuité ne fait que traduire un droit. Les indemnités de chômage étaient généreuses, les impôts élevés, et l’intérêt de reprendre le travail ne sautait pas toujours aux yeux.

Antoine
On retrouve à s’y méprendre des analogies avec ce que nous connaissons ici.

Auguste
Roger Douglas, tout socialiste qu’il était, était arrivé à la conviction que le pays allait vers de graves crises de liquidités. En conséquence, il fallait réduire drastiquement les dépenses publiques et sociales et pour cela sortir de la fallacie de l’État-Providence/Protecteur.

Son talent a été d’expliquer que les aides allaient être réduites et, qu’en conséquence, chacun devait se prendre en main où que l’on soit dans la société.

Antoine
Un État protecteur c’est le résultat d’une conquête, c’est un droit acquis, qu’est-ce qu’il y a de mal ?

Auguste
Il a expliqué que dans un monde où aucun client n’est gagné définitivement (le monde agricole où la Nouvelle-Zélande excelle est très concurrentiel), le concept d’avantage acquis n’a pas grand sens. Il a considéré que dépendre de l’État sur presque tout était catastrophique en terme de développement de la personnalité des individus.

Antoine
Je vois bien l’idée de fond, ce qui développe la personnalité, ce sont les décisions que l’on prend. Plus l’Etat s’étend, plus il réduit le champ où on exerce des décisions personnelles, plus il porte atteinte à la personnalité.

Grand- père, une question : la solidarité c’est important pour une société, c’est même ce qui la définit. Comment on arrive à conjuguer responsabilité et solidarité ? Tu pourrais m’expliquer comment Roger Douglas a formulé les choses ?

Auguste
Voilà ce qu’il disait : « on aide, soit, mais il faut que les gens qu’on aide veuillent s’en sortir. Il faut casser au départ l’idée fausse que les gens modestes et moins éduqués ne sont pas à même de prendre les décisions qui les concerne, et qu’en conséquence l’Etat doit se substituer à eux. Parce que si on suit cette idée, on va vers le socialisme étatique qui annihile l’énergie de la population ».

Antoine
Drôlement intéressant, on retrouve toujours la lutte contre cette idée qu’en bas de l’échelle, les gens ne sont pas à même de prendre des décisions.

Je suis aussi bien d’accord avec Roger Douglas , un Etat protecteur abîme la population. C’est une idée voisine de celle de Françoise Dolto sur les enfants : « toute aide inutile entrave le développement ». Tu peux développer encore la pensée de Roger Douglas ? Ça m’intéresse beaucoup.

Auguste
Il revenait constamment sur le concept de « se prendre en main ». « Une réforme n’a pas de valeur si elle ne donne pas aux gens défavorisés, et qui veulent se prendre en main, des opportunités de sortir eux-mêmes des difficultés dans lesquelles il se trouvent ».

Une autre formulation, je te dis cela de tête, tu trouveras les formules exactes dans son livre, ou si tu arrives à le rencontrer :

 « Nous avons besoin d’un système d’impôts et de prestations qui garantissent un standard de vie décent sans envoyer de mauvais signaux. Il ne faut pas en particulier décourager le travail, ni prendre de décision au nom des personnes, ce qui encourage la dépendance ».

Antoine
On est sur des sujets fondamentaux, ça nous amène à réfléchir à notre devise « Liberté, Égalité, Fraternité ».

Très intéressant par rapport à ce que tu me racontais sur le Chancelier Gerhard Schröder, c’est une philosophie voisine de celle de la solidarité exigeante, mais c’est quelque peu différent : on insiste sur l’importance de se prendre en main. Le message ce n’est pas le droit à l’exigence de celui qui donne mais la nécessité de celui qui reçoit de se prendre en main. Toujours au fond l’idée de dignité, c’est là entre nous où le mot égalité de notre emblème mérite d’être affiné.

Auguste
Absolument, d’autant que sur la durée, l’idée d’être égaux en droit, celle de la Révolution française, est devenue petit à petit « être pareils en fait » comme le disait Roger Peyrefitte.

Antoine
Je reformule, parce que nous somme sur un point central, et tu me dis si j’ai compris.

 L’un des problèmes les plus graves des systèmes d’assistance et des systèmes gratuits, c’est que l’on prive les personnes du droit de faire des choix. Or le choix, c’est ce qui forme la personnalité.

 Le choix, c’est ce qui fait qu’on apprend de ses erreurs et que l’on prend confiance avec ses succès : toute forme d’assistance doit laisser intacte la dignité des gens, formulée comme la possibilité de prendre ses décisions sur les sujets importants.

 Dans un monde concurrentiel, on a besoin de citoyens qui s’assument. Si une trop grande proportion de la population est assistée, le pays ne tiendra pas sa place dans un monde qui va devenir de plus en plus concurrentiel.

Auguste
C’est exactement ça !

Antoine
Mes collaborateurs m’ont expliqué que Roger Douglas avait mis en œuvre des politiques de dérégulation massive notamment dans le secteur financier et dans celui des télécommunications. 

Il a supprimé de nombre de subventions et protections, en ouvrant l’économie sur l’international. Il a simplifié le système fiscal et réduit les taux d’imposition marginaux. On a appelé cette politique Rogernomix.

Auguste
Oui, c’est le ministre des Finances Ruth Richardson qui était à la manœuvre sur ces sujets, mais le cœur de la réforme a porté sur la santé et c’est Roger Douglas qui est monté en première ligne.

À l’époque, en Nouvelle-Zélande, c’était la fin des années 1990. Le budget était en déficit depuis 40 ans, le pays était très endetté, la santé était gratuite et tout le monde considérait qu’elle était devenue un droit. Le système de santé était en perte chronique. Il était contrôlé par des numérus clausus sur les médecins et les infirmiers… Résultat, il y avait des queues partout, et de l’argent noir circulait pour obtenir des passe-droits.

Antoine
C’est sûr que lorsqu’un produit ou un service est gratuit, on croit que ça ne coûte rien, et on en consomme en veux-tu en voilà. Quand on a arrêté le ticket modérateur, on a fait une jolie bêtise.

Auguste
Roger Douglas a mené plusieurs études dont les résultats ont été médiatisés. Ils ont montré que 70 % des dépenses venaient de problèmes liés à une négligence. L’alcool et le tabac en particulier faisaient des ravages.

Les hôpitaux était très mal organisés, épuisés par leur bureaucratie, les meilleurs médecins quittaient le pays, et le déficit des caisses de santé était devenu épouvantable.

Antoine
Ce n’est pas très différent de ce qu’on observe par endroit en ce moment chez nous, mais l’idée de négligence est intéressante, incroyable que le « parti du bien » ne se soit pas révolté contre l’allusion à la négligence, si on commençait à utiliser ce type de raisonnement en France qu’est-ce qu’on entendrait ! Qu’a fait Roger Douglas ?

Auguste
Il a commencé par faire de la pédagogie sur les dépenses publiques et les dépenses de santé qu’il calculait en centaines de dollars par mois et par ménage.

Antoine
Pas mal l’idée.

Auguste
Il a exploité des alertes sur la dette publique. La dette publique était de l’ordre de 100 000 euros par ménage, on était dans les années 1995 ; sa cotation a dégringolé, et Roger Douglas a expliqué que ça pouvait très vite monter à 300 dollars par mois et par ménage. Il y avait un danger.

Antoine
Il faut que je fasse faire le calcul pour la France si les taux montent à 5%.

Auguste
Je l’ai fait de tête. En France, des taux à 5%, ça ferait 600 euros de frais financiers par mois et par ménage. Calcul à préciser évidemment ; les dépenses de santé c’est de l’ordre de 900 euros par mois. Tu vois que c’est mal parti, je ne comprends pas que notre ministre des Finances n’utilise pas ces arguments.

Antoine
Ça secoue. Il faut que je souffle l’idée à un média de présenter les choses comme cela, mais ce qui m’intéresse c’est ce qu’a fait Roger Douglas.

Auguste
D’abord une déclaration de politique générale solennelle au Parlement, il a expliqué qu’on allait dans le mur et qu’il fallait réduire les coûts, l’un des plus grands facteurs de coût au niveau de l’Etat était la santé. Il était urgent de s’y attaquer : 

« Depuis 1938, aucun parti politique n’a réussi à changer le système de santé et dans cette affaire, les pauvres ont été les principaux perdants. Les usagers n’ont pas la possibilité de rechercher les solutions les plus efficaces. Les médecins ne sont pas non plus récompensés quand ils ont trouvé de meilleurs moyens de satisfaire la demande. La raison profonde de cet échec est simple. Les procédures naturelles du marché ont été remplacés par la loi, les ordonnances et la bureaucratie ».

Antoine
Ça me parle mais qu’a-t-il fait ?

Auguste
Un truc énorme : il a vendu la Sécurité sociale à cinq assurances privées concurrentes. En termes simples, il a tout simplement décidé de confier la gestion de la santé au privé !

Le système proposé a été fondé sur l’idée que chacun paye ce qui est courant, et est responsable d’acheter une assurance contre tout ce qui est grave, à petite probabilité mais à coût élevé comme une hospitalisation.

Antoine
Effectivement Grand-père, c’est radical, et ça j’aime, même si je ne me vois pas recommander cela en France.

Auguste
Tu y seras peut-être un jour forcé ! Je continue pour que tu aies tout en tête : toute cette réforme a été accompagnée d’une énorme réduction d’impôt. « Je vous baisse les impôts et votre salaire va monter, mais à partir de maintenant vous êtes responsable de choisir votre assurance santé sur les marchés ».

Antoine
Pour tout le monde ?

Auguste
Pour les moins favorisés, ceux qui ont du mal à payer le prix de l’assurance, le gouvernement donnera des aides financières personnalisées, mais le choix de l’assurance continuera appartenir à chaque personne. Il ne sera pas délégué à l’Etat.

Antoine
Et le personnel médical dans tout cela ?

Auguste
Il n’y a eu aucun licenciement, puisque tout le personnel a été repris par les assurances…

Antoine
Et le Parlement ?

Auguste
Le gouvernement a défini pour le Parlement la liste des prestations assurées. Les opérations les plus graves, celles qui demandaient un très gros capital, celles-ci sont restées du ressort de l’État.

Antoine
La réforme est passée ?

Auguste
Le Parlement a discuté la liste des prestations assurées, mais il a trouvé un accord. Il a simplement exigé que les assureurs n’aient pas le droit d’annuler une assurance ni de refuser de la renouveler.

Antoine
Les assurances ont dû demander quelque chose en échange.

Auguste
Tu as raison, les assurances ont obtenu le droit d’établir des classes de risques et d’adopter le principe de bonus, comme dans les voitures, afin d’encourager chacun à prendre soin de sa santé et à faire de la prévention.

Antoine
Dis donc, les classes de risque c’est une sacré évolution. Les prix des assurances, ça s’est passé comment ?

Auguste
C’est la concurrence entre assurances qui l’a fixé. Il y en avait cinq, dont des étrangères, ça rendait les ententes impossibles.

Antoine
Comment les assurances ont-elles fait avec les hôpitaux et les médecins ?

Auguste
Les assureurs ont eu le droit de référencer les médecins et les hôpitaux de leur choix.

Antoine
C’est fou ! Tout le monde a été mis sous pression : les particuliers avec le fait que c’était désormais à eux de prendre soin d’eux-mêmes, et le corps médical avec la recherche de l’efficacité pour être référencé…

Auguste
Le génie de Roger Douglas a été de lancer la dynamique, une fois le coup parti, ça s’est bien mieux passé qu’on pouvait le craindre.

La concurrence entre hôpitaux, assureurs et médecins a rendu la chaîne de coûts infiniment plus efficace. Les écarts de coûts entre hôpitaux se sont résorbés. Les hôpitaux inefficaces ont été rachetés, le système hospitalier s’est rationalisé par produit et par zone géographique sous la houlette des meilleurs praticiens.

Antoine
Les hôpitaux sont restés publics ?

Auguste
Le gouvernement a favorisé la privatisation des systèmes de santé. Un certain nombre d’hôpitaux publics ont été rachetés par les médecins et leurs employés. Ceux-ci ont perdu le statut de la fonction publique mais sont devenus propriétaires de leur entreprise. Les autres ont été repris par de grands groupes mondiaux venus investir.

Antoine
La qualité des soins a bien dû chuter à cause des prix.

Auguste
C’est pas du tout ce qui s’est passé. En fait, de nouvelles méthodes ont vu le jour : accouchement à domicile, recours aux sages-femmes, etc. Il en a résulté une forte baisse des coûts.

L’un des événements les plus inattendus a été la demande des assureurs de faire des cotations différenciées en montant les prix pour les alcooliques ou les gros fumeurs.

Antoine
Et alors ?

Auguste
Gouvernement et Parlement ont fini par donner leur accord.

Antoine
Ça a dû barder au Parlement.

Auguste
Évidemment ça a bardé, mais finalement le Parlement a accepté cette différenciation des cotations.

Le fait est que les gens ont commencé à réduire les consommation d’alcool et de tabac dans la foulée. Les assureurs ont fait la promotion des visites médicales annuelles en proposant des bonus pour ceux qui y recouraient.

En fait, l’idée qu’il fallait prendre soin de soi s’est développée dans la population.

Antoine
Grand-père, c’est presque trop beau ton histoire, c’est un sacré pari sur la nature humaine. L’idée est de passer d’un système de droits à un système de devoirs. Pour nous, Français, c’est impossible, nous, on est différents !

Auguste
Je déteste entendre ça : c’est du conservatisme, de l’arrogance et de la frilosité. Indigne de notre pays, surtout dans une période où il faut devenir compétitifs. Il faut que tu lances l’idée que si d’autres l’ont fait, pourquoi pas nous ? 

Il y avait une telle dynamique que le pays est passé, pour sa retraite, à la capitalisation avec une durée de cotisation minimale de 45 ans (l’âge n’a pas été un facteur !) et ses comptes se sont considérablement améliorés.

Antoine
Là, on parle d’une vraie révolution.

Auguste
Roger Douglas a fait comprendre que c’était vital.

Antoine
Les opposants ont dû expliquer que ça allait effondrer l’économie.

Auguste
Demande au ministère des Finances d’aller rechercher les chiffres réels de la dépense publique et de la dette sur une longue période en Nouvelle-Zélande, tu verras d’abord qu’en dix ans la dépense publique a baissé de plus de dix points entre 1992 et 2003, et que la dette est passée sur cette période de 60% à 20%. Comme quoi on peut faire baisser la dette d’un pays.

Antoine
La croissance du PIB a-t-elle souffert ?

Auguste
Regarde les chiffres, il n’y a pas eu de chute du PIB pendant cette période, il y a même eu un fort boost dans les années qui ont suivi, une preuve de plus que les idées de Keynes doivent être prises avec des pincettes.

Antoine
Merci Grand-père, tu es extra !

Auguste
Il y a eu une vraie dynamique dans tout le pays. Un événement extérieur a salué ces réformes, tu t’en souviens peut- être, la Nouvelle Zélande a gagné l’année suivante, en 1995, la coupe de l’America. C’était la première fois qu’elle quittait les États-Unis. Tu imagines pour un peuple de marins ce que cela représentait !

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