INTERVIEW 1/3

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La mondialisation détecte l’excellence, étend son champ d’expression et développe les talents. Elle offre des aventures exceptionnelles aux entreprises et à leurs collaborateurs.
Si vous voulez comprendre pourquoi la mondialisation peut être aussi le rapprochement des peuples et le progrès économique, allez au musée du Louvre. Installez-vous devant un sphinx égyptien, Mona Lisa ou une esquisse de Rembrandt, et regardez attentivement les visages des visiteurs chinois, sud-africains, iraniens, japonais et français.
Ces œuvres, qui ont toutes en commun d’être des spécificités locales et inscrites à un certain moment de l’Histoire, touchent profondément les hommes et les femmes de toutes les cultures et de tous pays, parfois même 5000 ans après leur création. La raison en est simple : la très grande classe se repère au premier coup d’œil, et le génie traverse les siècles.
Ce qui vaut pour l’art vaut aussi pour l’économie. Les produits grands et petits qui ont changé notre vie quotidienne sont partis sans exception de spécificités locales. Le crayon graphite est parti d’Allemagne, le roulement à billes de Suède, la Moulinette de France, la fermeture Éclair et l’iPhone des États-Unis, l’agrafeuse d’Espagne, la sucette du Brésil… et la liste est très longue.
Oh, ce n’a jamais été simple, il a fallu travailler, s’adapter, développer les marchés et affronter les acteurs locaux. Mais ces difficultés ont en dernier ressort renforcé ceux qui ont accepté de les affronter et amélioré les produits.
Tout n’est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais contrairement à tout ce qu’on raconte, la mondialisation ne nivelle pas.
C’est plutôt le contraire. Elle détecte l’excellence, étend son champ d’expression et développe les talents. Elle offre des aventures exceptionnelles aux entreprises et à leurs collaborateurs.
Elle permet à chacun de garder sa spécificité, puisque celle-ci est un levier. Elle fait bénéficier à tous de ce que chaque pays a de meilleur. Cessons donc de la diaboliser, répondons à son appel et ayons un peu plus confiance en nous.
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Le gouvernement projette la nationalisation d’EDF. Soit ! mais qu’est-ce que cela va changer puisqu’EDF est déjà depuis longtemps sous la coupe de l’État ? Premier constat : la performance financière a tout été sauf brillante, cela dit sans agressivité, l’auteur de ces lignes sachant que les choses ne sont pas simples. En 2005, EDF était l’une des premières capitalisations du Cac 40 ; sa position concurrentielle était exceptionnelle, résultat d’orientations long terme, données par le général de Gaulle et tenues par ses successeurs Georges Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing.
Si l’énergéticien avait ensuite suivi les stratégies des entreprises françaises leaders mondiales type Air liquide, L’Oréal ou Dassault Systèmes consistant à viser, à partir de savoir-faire uniques, dans le cadre de stratégies séculaires, un leadership mondial dans leur secteur, EDF aurait aujourd’hui une capitalisation tournant probablement entre 200 et 300 milliards. Et si on se compare non plus aux leaders mais à la moyenne du CAC 40, qui était à 3000 en 2005, il a doublé depuis ; le cours d’EDF était autour de 30€, il est le tiers aujourd’hui… tout cela fait un rapport de un à six !
EDF avait fait le choix clair et lumineux de couvrir la filière de haut en bas avec la production, la distribution à longue distance, la distribution locale capillaire, le stockage des déchets radioactifs. La France avait avec Areva le contrôle du process même et une avance technologique considérable sur ses concurrents. L’entrée dans les pays nouveaux pouvait facilement se faire par acquisitions, à différents niveaux de la chaîne, ou par des ventes de process : l’entreprise avait un boulevard devant elle. Hélas ! depuis 2005, l’influence de la politique politicienne sur l’entreprise est venue perturber sa stratégie à long terme. Sans ces désordres stratégiques, EDF serait implantée dans plusieurs pays européens, exporterait de l’électricité et la France aurait un formidable argument d’attractivité avec un coût de l’électricité de loin le plus bas du continent.
Deux facteurs déterminants ont pesé : la mise au pas du nucléaire et l’intervention de l’Europe. L’État (en fait le parti au pouvoir) a froidement instrumentalisé la stratégie de l’entreprise pour acheter les voix des écologistes (un accord qui n’a d’ailleurs pas duré longtemps). La monnaie d’échange était l’arrêt du nucléaire. Un investisseur privé aurait bien mieux résisté aux pressions. À moins que quelque chose ne change, on peut légitimement se poser des questions sur la nationalisation comme garant de la constance des stratégies ! L’Europe n’a pas rendu non plus service avec sa politique consistant à couper la filière énergétique en trois : la production, la distribution grande distance et la distribution capillaire. Elle a tout simplement cassé le business model d’EDF, l’idée étant de favoriser l’émergence des nouvelles technologies que des entreprises comme l’énergéticien auraient pu étouffer parce qu’elles tenaient la distribution.
La France et EDF n’ont pas été capables d’expliquer au régulateur que l’intégration était, dans le domaine de l’énergie, une bonne formule qui facilite la planification de la production et surtout fait bénéficier au consommateur des formidables effets d’échelle à l’œuvre dans ce métier. Il vaut mieux en matière d’énergie un producteur dominant avec des coûts bas et de fortes marges qu’une armée de petits concurrents se livrant une concurrence féroce avec de faibles marges mais des coûts bien plus élevés.
De son côté le groupe nucléaire Areva [devenu Oreno en 2018, Ndlr] n’a pas fait de merveilles non plus sur les marchés internationaux, l’entreprise ayant visé les très gros projets qui ont tous pris d’énormes retards et entraîné des pertes considérables. Ce faisant, Areva s’est fait enfoncer par ses concurrents américains, russes, japonais et coréens sur les projets de taille moyenne qui constituaient le gros du marché. Où en est le groupe sur la fusion nucléaire ? On sait que chez les Anglais, les Américains et les Chinois, des projets sont en train de fleurir…
Nationaliser EDF pour construire de nouvelles centrales nucléaires… soit ! Ce qui importe pour le futur, c’est que la stratégie, qui doit aller au-delà de la construction de six centrales, soit la bonne. Que fait-on sur l’éolien et le solaire ? Quelle part donne-t-on à la méthanisation qui est négligée alors qu’elle est une importante source d’énergie potentielle pour un pays d’éleveurs comme la France ? EDF reste-t-il sur la France ou l’entreprise a-t-elle une stratégie internationale ? Et surtout quel discours sera-t-il tenu vis-à-vis de l’Europe ? Ce retour au nucléaire civil qui, de l’avis de l’auteur de ces lignes, est une bonne chose, appelle plusieurs remarques.
Le choix du général de Gaulle, qui n’était pas un homme d’affaires, se révèle à l’épreuve des faits, sur longue durée, un choix somptueux ! Il a été possible, grâce au génie de l’Europe et des Européens qui ont pour nom Pierre et Marie Curie, Niels Bohr, Albert Einstein, Nicolas Tesla, Erwin Schroedinger… la liste des savants à citer est bien plus longue. Ce groupe de physiciens européens, au début du XXe siècle, a découvert les secrets de l’atome, formidable cadeau au monde entier. La fusion nucléaire, qui semble aujourd’hui à portée de main et qui apportera une énergie propre et pratiquement sans limite est en train, 100 ans après les premières découvertes, de confirmer la fécondité de leurs intuitions.
Pour que celles-ci portent leur fruit, encore faut-il que nos politiques se mettent à la hauteur. Il faut évidemment maîtriser le génie du mal — ce qui ne peut se faire qu’en poursuivant (en dépit des événements actuels) les politiques de désarmement nucléaire initiées au début des années quatre-vingt sous l’impulsion de Ronald Reagan et de Mikhaïl Gorbatchev. Il faut aussi assurer la continuité des stratégies industrielles qui ont des horizons de temps bien plus longs que celui des politiques énergétiques observées ces vingt dernières années.
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Aux dernières rencontres d’Aix, notre ministre de l’Économie Bruno le Maire expliquait à juste titre qu’il n’y avait rien de plus choquant que tant d’entreprises cherchent des salariés et au même moment toujours autant de chômage. Pour lui cette inadéquation était le deuxième sujet à traiter après la priorité du pouvoir d’achat.
Et si ces deux maux étaient tout simplement les deux conséquences d’un problème plus profond à régler ?
Appliqué trop longtemps le keynésianisme n’est-il pas plus un poison qu’un remède ? Et plus fondamentalement fonctionne-t-il en économie ouverte ?
Sans nous en rendre bien compte, nous payons aujourd’hui toute une série de décisions prises depuis une cinquantaine d’années.
1973 a vu coïncider la première crise de l’énergie et l’arrivée de nouveaux dirigeants politiques, Valéry Giscard d’Estaing succédant à Georges Pompidou. Ce n’était pas seulement une affaire de personnes mais une évolution très profonde de la philosophie économique. Le keynésianisme a alors été introduit par Lionel Stoleru et a succédé à la vision de Jacques Rueff qui suggérait au Général de Gaulle un État léger (30 % du PIB était la norme à tenir). Le mot d’ordre étant que dans un monde concurrentiel il faut être compétitif. Cela valait pour la sphère privée comme pour la sphère publique.
Lionel Stoléru vantait au contraire les effets positifs de la dépense publique comme stimulant de l’économie, fut-ce au prix d’un déficit public significatif. En 1973 se posait un problème réel de croissance avec le quadruplement du prix du pétrole. À cette époque, tous les pays ont adopté un gonflement conjoncturel des dépenses publiques mais y ont rapidement mis fin. La France est le seul pays à avoir accepté des déficits publics durant cinquante années. Le micro a été généreusement donné aux économistes keynésiens, les politiques n’étant par ailleurs pas mécontents de trouver une justification intellectuelle à un laxisme financier finalement assez commode.
Le problème c’est que 50 ans de déficit font grimper la dépense publique qui frôle aujourd’hui les 60 % du PIB. Cet écart par rapport à nos voisins, dont les sphères publique et sociale se situent autour de 40% du PIB, se retrouve dans le prix de revient de nos entreprises, il freine les exportations et est assurément une des raisons expliquant la désindustrialisation du pays.
Les prédictions de Jacques Rueff se sont donc réalisées.
Un détour sur la nature profonde de l’économie n’est pas inutile. Elle s’est profondément transformée. Combien d’entreprises dans l’économie moderne ? entre 3 et 4 millions, un chiffre considérable. Curieusement, l’économie s’est peu intéressée à cette problématique qui s’apparente à un grouillement de métiers interagissant les uns avec les autres. Si on considère qu’il existe 10 entreprises par créneau, cela équivaut à plusieurs centaines de milliers de créneaux. Le phénomène s’accélère actuellement avec Internet qui substitue ou fait éclater les anciens métiers.
Prenons l’exemple d’un seul créneau, le café soluble.
On est proprement stupéfait devant toutes ces techniques auquel ce métier fait appel : la production du café pour laquelle des régions entières, depuis des milliers d’années, se sont livrées une farouche concurrence pour produire les meilleurs cafés ; la transformation du café (torréfaction, production de la poudre…) ; et toutes les technologies utilisées dans les machines qui se sont succédé. Ce seul métier est un univers rempli de savoir-faire complexes et changeants.
Pour que cette économie fonctionne bien, il faut assurer une fluidité entre les créneaux qui décroissent et ceux qui les remplacent. Il faut donc pour cela un marché du travail fluide et des fiscalités raisonnables sur les dividendes et l’investissement, faute de quoi la croissance est freinée. Des progrès ont été récemment enregistrés avec le Prélèvement forfaitaire unique et une baisse des impôts de production est annoncée, mais sur 50 ans l’économie privée a souffert. C’est une des causes évidentes du chômage français, plus important que celui observé chez nos voisins.
Il doit être la pierre angulaire de l’Éducation nationale.
Se pose alors la question : comment préparer nos jeunes à trouver leur place dans un monde si changeant ? Il ne peut pas y avoir une école pour chaque métier. Il faut réfléchir en termes de tronc commun, mais lequel ? Ce travail demande à l’évidence des échanges harmonieux confiants et réguliers entre l’école et l’entreprise.
Contrairement à ce qui se passe dans beaucoup de pays, notamment en Suisse, trop de méfiance règne encore même si les progrès depuis quelques temps sont évidents. Nombre d’enseignants considèrent encore l’entreprise comme un monde brutal, égoïste et rapace dont il faut protéger les élèves le plus longtemps possible. C’est un énorme handicap qu’il va falloir progressivement combler. Ce n’est pas si difficile, il suffit d’aller regarder de l’autre coté de nos frontières.
Tous ceux qui ont voyagé vous diront que le modèle mondial à copier est la Suisse qui a développé des systèmes d’apprentissage dans lesquels on permet aux enfants dès l’âge de 12 ans de travailler en entreprise.
Les Suisses ont installé deux filières : une filière générale et une filière technique, un système dual pour montrer qu’il n’y a pas de hiérarchie entre elles ; les ponts sont constants, c’est-à-dire qu’un enfant peut repasser de la filière technique à la filière générale quand il le souhaite. Les Suisses ont constaté et démontré que certains enfants avaient un sens concret naturellement plus développé, et d’autres étaient davantage portés sur l’abstraction. Contraindre les premiers à suivre une filière générale leur fait perdre leur temps et diminue l’efficacité de leur classe en freinant les seconds.
Il existe en fait un consensus mondial sur le tronc commun : apprendre à s’exprimer, avoir une bonne orthographe, savoir calculer, connaître l’histoire, la géographie, les grandes civilisations, une autre langue que la langue maternelle, des idées simples sur le bilan et le compte d’exploitation d’une entreprise. Peut-être plus important que tout, apprendre à apprendre car ils auront à le faire tout au long de leur vie.
Le conseil le plus important à donner aux responsables de l’Éducation nationale est de se rendre aux Pays-Bas et à Singapour pour constater comment les systèmes éducatifs se sont adaptés. Tous ces pays ont pour caractéristiques d’avoir un taux de chômage extrêmement faible ; de son côté, la Suisse a recours aux transfrontaliers pour satisfaire sa demande d’emplois.
L’apprentissage se développe en France, c’est une bonne nouvelle. Il faut évidemment aller beaucoup plus loin pour combler le retard évident qui la sépare des meilleurs.
Un voyage en Allemagne est utile, ainsi qu’un retour au début des années 2000.
À l’époque, la France fonctionnait bien, elle était faiblement endettée, les dépenses publiques se situaient en dessous des 50 % du PIB. L’Allemagne était l’enfant malade de l’Europe avec des dépenses publiques à 57 % du PIB et un chômage dépassant les 10 %, difficultés liées à la réunification (l’État avait injecté 1500 milliards d’euros à l’Est).
C’est à cette époque qu’on a assisté à des réformes que l’on peut qualifier de structurelles. La priorité du couple Schroeder/Hartz n’a pas été la défense du pouvoir d’achat mais la lutte contre le chômage qui, selon les mots de Schroeder, détruit la société en isolant les citoyens privés de travail. Le chômage est donc le mal absolu. Malgré les difficultés financières de l’État, à l’époque déficitaire et endetté, le principe de solidarité a été maintenu comme ciment de la société. Mais cette solidarité a été combinée avec une forte dose d’exigence. « Nous sommes prêts à aider mais en échange il faut faire un effort », le fameux « fördern und fordern ».
Le mot d’ordre a été la solidarité exigeante, ou « il vaut mieux un job pas tout à fait satisfaisant que l’horreur du chômage même bien payé à la maison ». Les indemnités chômage ont été conçues et calées dans cet esprit, les chômeurs trop difficiles sur les offres proposées perdaient leurs allocations. Cette philosophie associée à une réforme du temps partiel a permis de ramener en cinq ans le chômage sous la barre des 5 %, niveau qui est aujourd’hui la norme dans toute l’Europe du Nord.
À l’époque où l’Allemagne prenait ces décisions courageuses, Lionel Jospin était Premier ministre. Denis Olivennes, normalien, énarque et conseiller de Bérégovoy disait que la France avait fait le choix d’un chômage bien rémunéré.
Toucher aux indemnités chômage est un sujet très sensible car évidemment, certains souffrent et ont du mal à se recaser malgré de réels efforts. Mais la tricherie existe aussi, une partie de la population au chômage ne cherche pas de travail tout simplement parce qu’elle n’y a pas intérêt. En accumulant les aides de toutes sortes, on peut très bien rester sans emploi et avoir ponctuellement un travail non déclaré.
Pouvoir d’achat ou chômage ? Où mettre la priorité ? La situation est compliquée, il faut rester unis et ne jeter la pierre à personne… mais éviter que l’urgent ne chasse l’important.
Le pouvoir d’achat est faible à cause des erreurs décrites plus haut. Les économistes n’ont pas assez dit qu’il y a cinquante ans, le le PIB par tête de la Suisse était le même que le nôtre. Il est aujourd’hui 2,25 fois plus élevé. C’est la preuve que les théories keynésiennes ne fonctionnent pas. Les tickets et boucliers concoctés actuellement sont dérisoires au regard de l’écart de pouvoir d’achat avec la Suisse. Il faut donc s’attaquer aux racines des problèmes en calant les indemnités chômage sur ce que font nos voisins et en installant un système performant d’apprentissage.
Copier les politiques de ceux qui ont réussi, c’est non seulement une façon de se tirer d’un mauvais pas mais c’est construire l’Europe.
Sans oublier que la meilleure façon d’aider les Ukrainiens c’est de retrouver rapidement des excédents budgétaires et une compétitivité qui permettront de les soutenir économiquement.
Cet article est paru dans Contrepoints, le journal libéral de référence en France
Il y a au moins six conditions à respecter pour réformer paisiblement notre système de retraite. La première est de faire preuve d’humilité et de s’inspirer des décisions qu’ont prises nos voisins : tous ont augmenté l’âge de départ à un minimum de 65 ans, sans évoquer le cas japonais ou l’on vise les 70 ans. La seconde condition est d’expliquer que nous sommes arrivés à des niveaux d’endettement dangereux pour l’autonomie du pays. Il faut donc baisser les dépenses publiques et sociales pour retrouver un excédent budgétaire. La plus grosse des dépenses étant, de très loin, la retraite (14,8% du PIB), il faut ramener le chiffre de 10 à 11% faute de quoi, c’est l’indépendance financière de notre pays, sa compétitivité globale et son système social qui seront, un jour, mis en cause. L’Allemagne a réussi cette prise de conscience au début des années 2000. Le chancelier de l’époque, Gerhard Schröder, a alors réformé les retraites en sortant du paritarisme. Il a expliqué que l’État n’avait pas les moyens de combler les trous. Les partenaires sociaux ont assumé, ont fait les calculs et compris qu’il fallait porter l’âge de la retraite à 65 ans.
La troisième condition est de casser l’idée qu’il faut chercher l’argent « là où il est est », autrement dit chez les cent plus grandes fortunes du pays. C’est une idée complètement fausse : non seulement le niveau de cette fortune (750 milliards d’euros avant la crise récente) est beaucoup trop faible vis-à-vis du problème, mais ces fortunes sont investies dans des entreprises, donc cet argent n’est pas liquide. Le sortir pour financer des dépenses reviendrait à donner le contrôle de ces entreprises leaders à l’étranger en une demi-douzaine d’années, et ne ferait que repousser le problème.
La capitalisation est en France un gros mot. On s’est tout simplement ruiné en se privant des services du marché pour des raisons purement doctrinales.
Une autre condition est de raisonner en termes de durée de travail, comme l’ont fait les pays qui ont réussi les réformes : un jeune ayant commencé à travailler à 17 ans aura 62 ans après 45 années de travail alors qu’un diplômé qui a eu un travail moins dur (au moins physiquement) et qui a commencé à travailler à 25 ans (du fait d’études supérieures longues) n’aura accumulé à 62 ans que 37 années de travail. Raisonner en termes d’âge uniforme crée des complications et par voie de conséquence des tensions.
La cinquième condition est de respecter l’arithmétique : quand la décision a été prise de la retraite à 60 ans en 1983, l’espérance de vie moyenne était de 75 ans, la durée moyenne de la retraite était donc de 15 ans. Depuis, la durée de vie a augmenté d’un trimestre par année, soit une espérance de vie de 85 ans. Le temps de retraite est aujourd’hui 50% plus long avec une date de départ à 62 ans. Les conséquences sont considérables : 3 cotisants par retraité en 1983, 1,7 maintenant. Il y a certes eu des gains de productivité pendant cette période, mais ils sont très loin de faire la maille : le système de répartition est déséquilibré. C’est une très grave responsabilité de ceux qui ont instauré la retraite à 60 ans de n’avoir pas expliqué au départ qu’on serait obligé de changer les paramètres si on voulait garantir sa durée.
L’idée du « perennial réemployé » jusqu’à 73 ans et celle de l’actionnariat salarié peuvent être deux coups de pouce puissants.
La sixième condition suppose un minimum de connaissance en termes de finances : la capitalisation des entreprises croit plus vite que le PIB. C’est un phénomène universel et intemporel. L’un des plus vieux marchés boursiers du monde, le Dow Jones a 230 ans. Il a connu une croissance moyenne de 4,5% par an donc, dividendes compris, environ 6% de rentabilité par an. Notre indice, le CAC 40, était à 400 quand la décision fut prise de choisir la technique de la répartition, il est à 6000 aujourd’hui, soit une multiplication par 15 et une croissance de 7,5% par an. Tous les pays qui se sont appuyés sur la capitalisation ont une retraite qui coûte beaucoup moins cher : la France lui consacre 14,8% de son PIB la Suisse 7,5% ! Les économistes qui ont passé leur temps à lutter contre la capitalisation n’ont pas rendu service au pays. La capitalisation est en France un gros mot. On s’est tout simplement ruiné en se privant des services du marché pour des raisons purement doctrinales. Il faut introduire le concept de capitalisation dans le système.
Les bonnes idées venant souvent de l’extérieur, il est utile de suivre l’évolution des mentalités en particulier en Asie ou la notion même de retraite est mise en cause. L’idée là-bas est de distinguer une période de retraite active et une période que l’on peut qualifier de vraie retraite. Singapour vient de lancer le concept de « réemploi ». La raison est double : une pénurie sans précédent de main d’œuvre et le fait que les trois quarts des Singapouriens sont prêts à prendre leur retraite plus tard. Ils considèrent que l’activité maintient en bonne santé, ils veulent garder leurs connexions sociales, ils sont prêts à des efforts pour servir leur pays et enfin ils aiment le travail qui est une fierté et un accomplissement. L’idée du réemploi est la suivante : quand vous partez à la retraite, vous pouvez être réembauché par votre employeur. Vous aurez un travail plus léger, orienté sur l’encadrement et la transmission d’expérience. Pour inciter les entreprises à le faire (ce qui réduit considérablement le coût de la retraite puisque pendant la période de réemploi, c’est l’entreprise qui verse le salaire), les charges sociales sont quasiment à zéro. Cette innovation ne va pas tout résoudre, mais certainement alléger le financement de la retraite. Le contrat de réemploi va aujourd’hui jusqu’à 70 ans mais il est envisagé de passer à 73 ans. Rappelons qu’en 1960, le PIB par tête des Singapouriens était le tiers du nôtre et qu’il est — excusez du peu —plus de deux fois le nôtre aujourd’hui !
Voilà une belle idée à creuser. On peut en rajouter une autre : ajouter un zeste de capitalisation, la bonne façon de faire étant l’encouragement de l’actionnariat salarié. Bon nombre d’entreprises l’ont pratiqué depuis longtemps en démontrant qu’un employé qui a cotisé toute sa vie 5% de son salaire peut quasiment doubler sa retraite légale avec le capital qu’il a accumulé. Pour encourager la formule, le gouvernement pourrait baisser par exemple à 15% la fiscalité des actions dont l’origine est l’actionnariat salarié. Au vu la gravité de la situation, on peut raconter ce que l’on veut, sauf à baisser les pensions significativement, on ne pourra pas éviter un allongement de la durée de travail si on veut garder le système. L’idée du « perennial réemployé » jusqu’à 73 ans et celle de l’actionnariat salarié peuvent être deux coups de pouce puissants. Le rôle des médias sera capital dans la réforme, car la pédagogie sera… décisive.
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Les choix politiques lourds en Allemagne pris à l’époque sont le fait de deux hommes : le chancelier Schröder et Peter Hartz
Le gouvernement se félicite à juste titre du rebond de l’économie française après la crise liée au covid et juste avant la guerre en Ukraine. Le chômage continue de baisser, ce qui est bien ; il n’en reste pas moins que la comparaison avec nos voisins allemands et hollandais est beaucoup moins flatteuse puisqu’ils ont des niveaux de chômage moitié moindre du nôtre sans parler de la Suisse où il est négatif.
Cet écart date depuis longtemps et si on cherche le moment où la France avait moins de chômage que l’Allemagne il faut revenir au début des années 2000, il y a près de 25 ans.
C’était l’époque où Jacques Chirac était Président et où Schröder succédait à Kohl.
À cette époque l’Allemagne était le parent pauvre de l’Europe, le chômage y était très élevé, son endettement explosait et sa croissance tombait. C’était la conséquence du rapprochement avec l’Est qui avait conduit l’Allemagne de l’Ouest à envoyer 1500 milliards d’euros à l’Est. Pour financer cette somme, les impôts avaient été augmentés, une TVA spéciale avait été instaurée au titre de la solidarité, la dette avait augmenté et installé la sphère publique à 57 % du PIB comme aujourd’hui en France.
Du coup, l’économie allemande était carrément à l’arrêt. Même des groupes aussi puissants que Volkswagen envisageaient de licencier des dizaines de milliers d’employés.
Les lourds choix politiques pris à l’époque sont le fait de deux hommes : le chancelier Schröder et Peter Hartz, le directeur des ressources humaines de Volkswagen. Ils s’étaient rencontrés car en tant que Président de la région de Basse Saxe Schröder était administrateur de Volkswagen.
Harz avait beaucoup de créativité, un grand sens du concret et avait commencé à expérimenter des modes d’organisation très intéressants à l’intérieur du groupe Volkswagen. Les deux hommes décidèrent de lancer une commission présidée par Harz et rebaptisée agenda 2010 qui comptait une douzaine de personnes : des syndicalistes, des penseurs, et des entrepreneurs. C’est là que se sont concoctées les idées qui ont remis le pays sur pied.
Schröder réussit à expliquer aux Allemands qu’il n’y aurait bientôt plus d’argent dans les caisses et que l’endettement avait atteint ses limites : 70 % du PIB ! Continuer à faire monter la dépense publique reviendrait à mettre le pays entre les mains des financiers, la première victime allant être le système social auquel les Allemands étaient très attachés. La deuxième idée forte c’est que même en atténuant ses méfaits par des indemnités, le chômage détruisait la société en privant les chômeurs de toute vie sociale. La troisième idée forte c’est que la société doit aider mais que le bénéficiaire des aides doit faire lui-même des efforts. La solidarité est l’un des piliers mais en période difficile, elle peut devenir exigeant .
Ce fut le fameux « fördern und fordern » : aider et exiger.
Le programme de réformes a porté sur trois axes :
Le CDI à temps variable a permis de conserver un emploi à durée indéterminée mais la durée de travail hebdomadaire changeant fortement (en simplifiant, de 4 fois 7 à 5 fois 9) en fonction de la conjoncture. En échange de ce changement du contrat de travail on donne un intéressement massif qui a représenté chez Volkswagen jusqu’à 12 000 euros par ouvrier les bonnes années.
Le dispositif d’autoentrepreneur qui n’a pas très bien marché.
Les mini jobs, soit 400 euros sans charges pour 15 heures par semaine. Le succès a été beaucoup plus fort qu’attendu. En effet, il s’est créé environ 9 millions de jobs. Sachant qu’au moins 3 millions de personnes en ont eu deux, très rapidement le revenu a dépassé 400 euros.
La combinaison des trois politiques a permis la baisse du chômage.
Parallèlement, l’organisation des agences d’emploi a été modifiée, les processus ont été simplifiés, les salaires des agents dépendaient des placements aboutis ; les règles d’indemnisations ont été durcies, les chômeurs devaient justifier le refus des jobs proposés avec le principe qu’il vaut mieux un travail pas tout à fait satisfaisant que l’horreur du chômage même bien payé.
Schröder a expliqué que l’État ne pouvait plus combler le trou des caisses sociales.
Syndicats et patronat ont décidé spontanément de repousser immédiatement l’âge de départ à la retraite à 65 ans. Les petites dépenses de santé n’ont plus été remboursées, ce qui a mis les caisses de santé à l’équilibre.
Le plus important est que l’Allemagne a quitté le paritarisme, ce ménage à trois difficilement gérable, qui est peut-être une des explications de nos problèmes. Les syndicats ont joué le jeu car ils avaient compris que la situation était grave et que l’argent ne tombait pas du ciel.
Il faut dire qu’auparavant ils avaient pris des distances avec le communisme au congrès de Bad Godesberg. C’était le fruit du travail initié dix ans auparavant par Helmut Schmidt avec sa célèbre phrase : « Les profits d’aujourd’hui , c’est l’investissement demain et l’emploi d’après-demain ».
Le patron en Allemagne se définit comme étant arbeit geber, celui qui donne du travail. Les syndicats allemands avaient bien compris que le capital est bien l’ami de l’emploi.
Schröder n’a pas été réélu parce que l’économie a pris un peu de temps à re démarrer. Il a été battu de très peu par Angela Merkel qui a eu la sagesse de poursuivre sa politique. La part des dépenses publiques dans l’économie est passée de 57 % à 44 %, le chômage a continué de baisser et la dette est retombée à 60 % du PIB. La prospérité actuelle en Allemagne tient bien évidemment à ces décisions prises il y a 20 ans.
À cette époque, la France restait sur une politique de chômage bien payé, la part des dépenses publiques qui en 2000 était en dessous de 50 % a régulièrement monté pour atteindre 57 % avant la crise covid.
Une des forces de l’Europe c’est d’être un laboratoire politique avec des pays finalement assez proches. Dans ces conditions il n’est pas honteux de s’inspirer des bonnes pratiques de ses voisins.
La France a sûrement mieux fait que l’Allemagne en matière énergétique pour peu que ses centrales nucléaires se remettent à fonctionner. Il est par contre évident que l’Allemagne a mieux réussi sur le plan du chômage et que nous avons tous intérêt à nous inspirer de ce qu’elle a fait !
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En Nouvelle-Zélande, au début des années 1990, s’est opérée une réforme du domaine de la santé dont la France pourrait s’inspirer. Certes, c’était il y a trente ans, dans un petit pays relativement au nôtre, les beaux esprits vont pouvoir dire avec assurance que son modèle n’est pas applicable. Pourtant, ce serait utile que chaque Français connaisse l’histoire de cette réforme. Le système de santé néo-zélandais connaissait alors exactement les mêmes problèmes que le système français aujourd’hui : engorgement des hôpitaux, liste d’attente, personnel épuisé, paperasserie indescriptible, départ des meilleurs médecins.
Le choix démocratique a voulu que la Nouvelle-Zélande se dote d’un Premier ministre d’origine modeste, Robert Douglas, dont le père était ouvrier agricole. Socialiste au début de sa carrière politique, ses idées évoluent avec le temps et les voyages. Il trouve les mots pour persuader ses concitoyens, en particulier les socialistes, de changer de fond en comble leurs modes de raisonnement.
L’un des problèmes les plus graves des systèmes d’assistance et des systèmes gratuits, c’est que l’on prive les personnes du droit et de la possibilité de faire des choix.
Il commence par s’attaquer au système de santé dont les coûts dérapaient complètement, fait d’autant plus grave que c’est alors la première activité économique du pays et de très loin. Le manque de compétitivité du secteur est en train d’affecter la société tout entière puisque ses surcoûts sont réintégrés dans les prix de revient, par le biais des charges salariales, et nuisent à la compétitivité. Le système a, aux yeux de Roger Douglas, deux défauts : il est complètement gratuit, ce qui a pour effet qu’on consulte l’hôpital même quand ce n’est pas vraiment essentiel et surtout, des études montrent que 70% des problèmes viennent du fait que les gens ne prennent pas soin d’eux-mêmes.
Douglas est un homme à la fois conceptuel et concret. Il revient aux fondamentaux et d’abord au concept de responsabilité personnelle. Ensuite, il fait complètement confiance aux systèmes concurrentiels et son obsession est que chacun, quelle que soit sa place dans la société, puisse prendre les décisions qui le concerne et l’assume. Il réussit à casser l’idée fausse que les personnes modestes et peu éduquées sont incapables de prendre leurs responsabilités. Si on refuse cette idée simple, dit-il, on rentre dans un système de socialisme étatique et toute l’énergie de la population s’étiole. L’un des problèmes les plus graves des systèmes d’assistance et des systèmes gratuits, c’est que l’on prive les personnes du droit et de la possibilité de faire des choix. Il faut donc lutter contre la pratique de soutien sans réciprocité.
Le principe fondamental de la gestion du système de santé néo-zélandais est le numerus clausus qui produit de gigantesques listes d’attente avec des problèmes dramatiques pour les gens qui ont de graves maladies. Le système génère des différences de coût de 1 à 6 entre les hôpitaux pour les mêmes pratiques ; l’excellence coexiste donc avec la médiocrité la plus absolue. Les meilleurs médecins, écœurés de ne pas pouvoir travailler comme ils le veulent, quittent le pays ; la plupart des Néo-Zélandais en arrivent à l’idée qu’ils ont droit à tous les services de santé en oubliant leur responsabilité personnelle à l’égard de leur propre santé.
Le Premier ministre commence par expliquer qu’on ne pourra pas rembourser sans discuter les ennuis de santé que les gens s’infligent par leur propre faute (l’alcool, la drogue et le tabac sont visés). Pour lui, l’explication du problème est simple : les procédures naturelles de marché ont été remplacées par la loi, les ordonnances et la bureaucratie. La réforme qu’il propose se fonde sur l’idée que chacun paye ce qui est courant et qu’il est responsable de prendre une assurance contre tout ce qui est grave et à petite probabilité. Pour les moins favorisés, ceux qui ont du mal à s’offrir une assurance, le gouvernement donnera des aides financières personnalisées, mais le choix de l’assurance continuera à appartenir à chacun. L’ancienne Sécurité sociale est remplacée par cinq sociétés d’assurance concurrentes qui ont repris tout le personnel, les feuilles de paye sont augmentées des anciens coûts prélevés sur elles au 1er janvier de l’année où le changement a été décidé.
Les opérations les plus graves, celles qui demandent un très gros capital restent du ressort de l’État. Les actes les plus simples ne sont plus remboursés et les traitements intermédiaires sont couverts par l’assurance. L’assureur obtient le droit d’établir des classes de risques comme pour l’assurance automobile afin d’encourager chacun à prendre soin de sa santé. C’est la concurrence qui détermine les prix offerts. Dans la pratique, cette concurrence entre assureurs, hôpitaux et médecins rend la chaîne infiniment plus efficace, l’écart de coûts entre hôpitaux disparaît très vite, les hôpitaux inefficaces ayant été repris par d’autres. Le système hospitalier se rationalise par produits et par zone géographique. Les hôpitaux publics sont rachetés par les médecins et les employés, qui perdent leur statut dans la fonction publique mais qui deviennent propriétaires de leur activité. De grands groupes mondiaux investissent dans le pays en apportant leur technologie. De nouvelles méthodes voient le jour, notamment l’accouchement à domicile et le recours aux sages-femmes. On observe une baisse significative des coûts contrairement à tout ce que les experts avaient prédit.
L’un des effets les plus inattendus de la réforme est le fort développement de la prévention. Les assurances ont proposé des cotisations différenciées pour ceux qui se soumettent à des check-up annuels et ont augmenté leurs prix aux alcooliques et au fumeurs. Ces dernières mesures ont provoqué la saisie du Parlement, qui a adopté l’idée selon laquelle il fallait prendre soin de soi et a autorisé la différenciation des tarifs ! Ce premier succès encourage Roger Douglas à privatiser la gestion de la retraite en recourant à la capitalisation en tenant compte du nombre d’années travaillées. Il ferme des ministères et vend le palais présidentiel pour frapper les esprits. Résultat, les dépenses publiques ont baissé de 25% et la dette qui explosait avant les réformes s’est littéralement effondrée en 15 ans. Douglas a raconté cette formidable transformation dans son livre Unfinished Business (Random House). Point d’orgue de ces réformes ? La reconquête par les « Néoz » de la coupe de l’America ! Mais ceci est une autre histoire…
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Le déficit record du commerce extérieur en 2021 est-il imputable aux délocalisations conduites par des entreprises « mauvaises citoyennes » ? La réponse de l’ancien président d’Essilor, Xavier Fontanet.
On recommence à entendre dans les médias la petite musique cherchant à faire passer l’idée que s’il y a eu des délocalisations, c’est parce que les entrepreneurs français étaient des rapaces et de mauvais citoyens. Explication un peu facile ayant mérite de plaire à bon nombre de nos compatriotes qui ont une attitude anti-entreprise et également à certains membres de la sphère publique qui se posent en seuls détenteurs de l’intérêt général.
C’est évidemment mal connaître la réalité et pour expliquer les choses, il est utile de revenir un peu en arrière. Les délocalisations datent de la nuit des temps mais ont commencé à prendre de l’importance il y a quarante ans. Prenons le cas du textile. La raison principale de ces déplacements d’usines a été l’émergence de fabricants de machines à filer et à tisser qui ont vendu leurs équipements aux pays en voie de développement. Ces fabricants procuraient non seulement les machines mais aussi tous les savoir-faire permettant de bien les utiliser. Celles-ci pouvaient être confiées à de jeunes ouvriers ou ouvrières dont les salaires étaient dix fois plus bas que ceux qui étaient versés en France. Les prix de revient en Inde, en Malaisie, en Chine étaient de ce fait cinq ou six fois plus bas que ce qu’on pouvait atteindre en Europe, même avec les meilleurs ouvriers.
Les consommateurs étaient ravis d’acheter des chandails ou des chemises bien moins chères et la grande majorité du pays était contente. C’est dans certains endroits seulement (le nord de la France en ce qui concerne le textile) que la population a souffert, largement plus d’un tiers des salariés ayant alors perdu leur travail. Les catégories affectées étant minoritaires, le grand public n’a pas fait le lien entre son acte d’achat et ses effets sur l’emploi. Il n’a pas vu les dégâts qu’il provoquait. Il y a trente ans, l’auteur de ces lignes a testé en vraie grandeur dans son métier (l’optique), des systèmes complètement automatisés en France pour éviter la délocalisation. Déjà à cette époque, l’importance de toutes les taxes de production appliqué à l’investissement élevé que réclament des automatismes sophistiqués empêchait d’envisager la moindre rentabilité. Il n’y avait pas d’autres solutions que de délocaliser si on voulait survivre.
La crise du Covid a montré qu’on avait peut-être été trop loin avec des chaînes logistiques trop longues et trop complexes, surtout dans le cas de petites séries.
Les choses sont en train de changer en ce moment, d’abord parce que les automatismes d’aujourd’hui sont infiniment plus flexibles et moins coûteux qu’ils ne l’étaient il y a quatre décennies. La crise du Covid a montré qu’on avait peut-être été trop loin avec des chaînes logistiques trop longues et trop complexes, surtout dans le cas de petites séries. Les salaires relatifs ont considérablement évolué et surtout la mentalité du consommateur change avec la reconnaissance qu’il vaut parfois mieux payer des produits plus chers, de meilleure qualité et qui durent plus longtemps. L’histoire a connu des phénomènes de relocalisation. À l’époque où furent inventés les premiers métiers à tisser, les Anglais ont récupéré tout ce qui avait été sous-traité en Inde et des villes comme Bénarès, autour des années 1850, ont perdu des centaines de milliers d’emplois de tisseurs manuels.
Cela étant dit, pour qu’une relocalisation fonctionne et soit durable, le gros travail qui reste à faire est du côté de l’État qui doit drastiquement baisser tous les impôts de production et réduire les charges correspondantes pour que ce soit durable ; ces baisses ont commencé et ont montré certains effets. Il n’en reste pas moins que les impôts restants sont encore beaucoup plus élevés que chez nos voisins européens, notamment allemands.
Plutôt que jeter la pierre sur les entrepreneurs, il vaudrait mieux expliquer que la relocalisation concerne les consommateurs et la fonction publique qui doit réduire ses coûts au niveau de ses voisins européens. Cela relève du simple bon sens quand on sait que les dépenses publiques et sociales représentent près de 60% du PIB et donc la majorité du prix de revient des produits. Le jour où l’on perdra l’habitude de prendre les entrepreneurs pour des boucs émissaires de tous les problèmes, les choses auront une petite chance d’aller mieux. Cela suppose évidemment une meilleure compréhension de la concurrence (ce qui passe par les programmes scolaires) et demande aussi de donner la parole plus fréquemment aux hommes de terrain pour leur permettre d’expliquer la réalité de la concurrence mondiale.
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Grâce à sa Constitution, la Suisse jouit d’une situation économique, politique et sociale bien meilleure que celle de la France.
À l’époque où très nombreux sont ceux qui se posent des questions sur le fonctionnement de notre démocratie on peut suggérer de regarder comment elle fonctionne ailleurs… même si cette approche va se briser sur l’argument très connu « À quoi bon ? Chez nous c’est différent ! »
C’est bien dommage car l’une des façons les plus simples de réfléchir c’est d’aller voir les pays où ça fonctionne, exercice d’autant plus facile que l’un de ceux qui marche le mieux au monde a des frontières communes avec le nôtre. Il s’agit de la Suisse.
La Suisse est le dernier pays où on peut s’attendre à voir des Gilets jaunes sur les ronds-points. L’une des raisons c’est que ce pays fonctionne formidablement bien sur le plan économique et nous a complètement dépassés depuis 50 ans.
Il y a 50 ans, à la mort du président Pompidou, nous avions le même PIB par tête que la Suisse qui est aujourd’hui pratiquement 2,5 fois le nôtre ; le pays s’est endetté, passant de 30 % à 120 % du PIB, alors que la Suisse est restée à 30 % ; elle a des excédents budgétaires et commerciaux, la France a de forts déficits ; l’écart est le plus impressionnant pour le chômage. Il est un cancer pour la société et si pour un pays il y avait un capteur synthétique de l’efficacité du système social, c’est bien lui !
Il est en Suisse de 2,4 %, soit le tiers du chômage français ; en fait le chômage est négatif si on tient compte des frontaliers qui viennent y travailler quotidiennement. Les seuls Français sont 180 000, soit 3,6 % de la population active !
On terminera la comparaison en faisant remarquer que trois des cinq plus grandes entreprises européennes sont suisses alors que ce pays ne représente que 1,5 % de la population du continent européen.
D’où peut donc venir cette énorme différence ?
De l’avis de tous ceux qui ont voyagé dans le monde entier et réfléchi sur le sujet la raison est… la Constitution suisse.
En Suisse, l’État se concentre uniquement sur la défense, la politique étrangère et la monnaie. Les fonctions régaliennes sont décentralisées au niveau des cantons, inclus l’enseignement et la santé. Le troisième étage c’est la ville ; les communes suisses sont en moyenne trois fois plus grandes que les nôtres et le concept d’intercommunalité n’existe tout simplement pas.
Les activités régaliennes représentent en Suisse 20 % du PIB contre 25 % en France. C’est la preuve que l’effet d’échelle ne joue absolument pas dans le domaine régalien, de petites structures pouvant être beaucoup plus efficaces que les grandes.
L’une des raisons de la compétitivité de la sphère publique est la concurrence qui règne entre cantons. Le canton collecte les impôts et paye lui-même directement sa fonction publique, il a son propre compte d’exploitation et son bilan. Les cantons jouent entre eux une saine concurrence qui n’échappe ni aux citoyens ni aux entreprises. Les citoyens suisses sont convaincus que c’est elle qui permet de contrôler les coûts et d’assurer l’excellence opérationnelle.
Le deuxième domaine à étudier de près est l’éducation : les universités sont cantonales, ce qui ne les empêche pas d’être au top mondial. Il est clair que là aussi la concurrence entre cantons joue à fond. Mais la caractéristique originale du système c’est l’apprentissage dit dual, autrement dit en entreprise, vers lequel se dirigent deux enfants sur trois à la fin de la scolarité obligatoire. Pour les Suisses, il s’agit de la vraie filière d’excellence.
Chaque canton dispose de sa propre Constitution et de son Parlement (de 50 à deux 250 députés ayant la caractéristique unique de garder leur travail et de consacrer une partie de leur temps (pour lequel ils sont payés) au Parlement local. Seuls les fonctionnaires sont obligés de choisir entre leur mandat et leur poste dans la fonction publique.
En pratique, il n’y a pas de fonctionnaires au Parlement. Les Suisses voient un énorme avantage à ne pas avoir de politiciens de métier, ils pensent que cela permet de mettre en poste des personnes qui connaissent le terrain, ce qui force à la promulgation de lois simples et compréhensibles par tout un chacun. Plus généralement, les Suisses valorisent l’engagement milicien, il est à leurs yeux un service que le citoyen rend à la société. Les citoyens sont réputés responsables et prennent eux-mêmes les décisions qui gouvernent leur vie quotidienne. Ce n’est qu’en dernier recours que l’on se tourne vers une autorité supérieure. L’un des mots-clés pour décoder la Suisse est la subsidiarité.
L’autre mot clé est le consensus. On demande aux députés de prendre de la distance par rapport à leur parti et leur responsabilité consiste à faire tourner le Parlement en parvenant à des compromis intelligents avec leurs concurrents politiques.
Dans le domaine social les différences sont fortes également : le coût de la sphère sociale en Suisse est de 20 % du PIB contre 32 % en France ; l’une des raisons est le recours à des assurances privées et à des retraites par capitalisation. L’autre raison est un droit du travail dont le code ne comporte pas plus de 30 pages. Un employeur n’a pas à justifier un licenciement, il doit simplement payer l’indemnité prévue par la loi qui est d’un mois de salaire par année d’ancienneté, le tout limité à 24 mois. Il va sans dire qu’un licenciement n’est jamais un drame en Suisse, car les salariés se recasent instantanément dans un pays de plein emploi.
Il faut évidemment évoquer la pratique du référendum populaire aussi bien au niveau fédéral qu’au niveau du canton et même de la ville. Le système est huilé et rappelle en permanence que le président c’est le citoyen. Nous avons là un modèle de démocratie participative.
Les immigrés y sont beaucoup plus nombreux qu’en France mais ils ne rencontrent en rien nos problèmes. Nous serions bien inspirés de les imiter, ils ne recherchent pas une assimilation mais une intégration. Le processus de naturalisation dure 10 ans et permet de vérifier que la connaissance des langues est à un niveau suffisant, que le niveau d’éducation permet au candidat de se débrouiller dans un pays sophistiqué et qu’il existe suffisamment de preuves d’intégration dans son environnement local.
PS : un article ne peut que donner l’envie de creuser le sujet. Pour ceux qui sont intéressés on peut recommander le chapitre sur la Suisse de « Pourquoi pas nous ? ». Pour ceux qui veulent aller au fond des choses il est impératif de lire Le modèle Suisse de François Garçon.
XAVIER FONTANET
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