Une tribune de Xavier Fontanet et Lisa Kamen-Hirsig

« La retraite, on s’en fout, on veut pas bosser du tout ».
A chaque réforme défilent des cortèges de manifestants émaillés de ces messages peints à
gros traits sur des banderoles et scandés par des bandes d’étudiants.
Nous sommes nombreux à nous étonner de leur inculture économique : même pris de
passion pour la « lutte contre les inégalités » et son corollaire, le culte de la redistribution,
comment peuvent-ils ne pas comprendre que sans travail, il n’y pas d’argent à partager ?
Sans valeur ajoutée, pas de RSA, de revenu universel, d’allocations machinchouette et de
chèque bidulechose ?
Convaincus que le monde est coupé en deux, riches d’un côté, pauvres de l’autre, que les
premiers disposent de ressources infinies qu’ils se sont accaparées sur le dos des seconds
et qu’une bonne révolution permettra de remédier ces terribles injustices, ils se prennent
pour des Robin des bois, souvent encouragés par des parents ravis que leurs rejetons
reprennent la flamme romantico-socialiste.
Les jeunes enfants sont pourtant le plus souvent dotés d’un vrai bon sens économique et
d’un esprit quasi entrepreneurial. Tout d’abord ils comprennent instinctivement la nécessité
d’une mise de fond au démarrage d’une entreprise et le fait que la croissance dépend d’un
résultat qui permet d’investir, comme chaque ménage doit mettre de l’argent de côté, c’est-à-
dire dépenser moins que ce qu’il gagne, pour acquérir sa maison. Ils appréhendent
facilement les notions d’endettement, d’intérêt et de remboursement. Quand on leur parle de
retraite, (les auteurs de ces lignes peuvent en témoigner) ils saisissent spontanément la
nécessité d’épargner, de placer et de capitaliser: ils n’envisageant pas une seconde de ne
pas récupérer leurs billes.
Pour autant ils ne sont pas du tout individualistes. Ils sont convaincus qu’il faut aider les plus
faibles si ceux-ci acceptent de contribuer à hauteur de leurs possibilités : que celui qui ne
peut pas apporter 1 euro pour l’achat du sapin de Noël fabrique une décoration ou à balaie
les épines afin que la classe reste propre. Pour eux la solidarité ne va pas sans un certain
niveau d’exigence.
Véritables entrepreneurs en herbe, les enfants sont extraordinairement créatifs et attachés à
la reconnaissance des inventeurs. Le vol d’idées est pour eux aussi grave qu’un vol d’argent.
La redistribution égalitariste ne les séduit pas du tout, pas plus que l’idée de partager d’office
leurs salaires de laveurs de voiture avec un frère qui n’a rien fait au prétexte qu’il est petit.
Réalistes, ils savent bien que l’on ne peut prêter ou partager que ce qu’on possède. Ils
aiment l’argent de poche et ne confondent pas sens de la propriété (celui qui engendre
l’entretien, le soin) et égoïsme.
Comment est-il possible que les mêmes personnes défilent quelques années plus tard
réclamant de ne jamais travailler et de profiter de la générosité des autres ? Que s’est-il
passé entre temps ? Inutile d’être grand clerc pour répondre à cette question : entre temps,
ils ont fréquenté les bancs de l’école.
École qui leur enseigne que la Révolution française a été un moment de liesse et de justice
sociale, que la dépossession en vue de rétablir une égalité théorique est légitime, même au
prix de procès arbitraires et d’exactions aveugles.
École qui amalgame sciences sociales et économie, associant systématiquement l’économie
de marché au chômage et aux inégalités, le service public au bien public et fait l’apologie du
partage de la valeur sans évoquer les ressorts de sa création. De nombreux manuels
évoquent davantage les limites de l’économie de marché que l’augmentation du niveau de
vie qu’elle a permis sur la longue durée. Assez logiquement ils prônent l’intervention étatique
et les politiques keynésiennes.
École niant les bienfaits de l’émulation en interdisant aux professeurs de noter leurs élèves
et de les évaluer objectivement.
École où l’on assume de ne pas recruter les meilleurs privilégiant une fois de plus l’équité à
l’efficacité. Il faut bien comprendre toute la portée des paroles d’Arnaud Dubois, responsable
de la préparation des professeurs des écoles à l’Université de Rouen : « Nous n’avons pas
choisi les élèves avec les meilleures notes, car ils auront une place ailleurs ».
Pour nos enfants, les moyens feront l’affaire. Que feraient-ils sinon ?
En dépit de la politique la plus redistributive du monde, la France entretient un système dans
lequel l’école reproduit plus qu’ailleurs les inégalités de naissance.
Pourtant elle ne remet pas en cause ses choix précédents ? continue de nier les différences entre personnes au
lieu de valoriser justement le génie individuel. La réponse au constat d’inefficacité du
socialisme est « ce n’était pas le vrai socialisme ; vite ! plus de socialisme ! »
Or, si l’une des principales contributions de la IIIe République est la mise en place d’une
scolarité obligatoire, ouverte à tous, elle misait alors sur l’excellence de ses professeurs, sur
des programmes exigeants et sur le sens de l’effort. On pourrait consacrer des livres entiers
aux Français d’origine modeste qui ont connu de très beaux parcours. Cette formidable
performance n’a pas été rendue possible par un culte de l’égalitarisme mais bien grâce à la
qualité des enseignants et aux vertus de la concurrence. Il y a quelques décennies encore,
l’école classait des élèves qu’elle notait et valorisait le travail et la responsabilité personnelle.
Le premier mot de notre devise est liberté : c’est bien parce que, dans l’esprit des pères de
notre système, cette idée devait dominer et conditionner les autres. Tant que nous
n’extirperons pas le romantisme révolutionnaire des programmes, nous noierons nos enfants
dans les eaux tièdes de l’égalité-fraternité avant de les ébouillanter dans l’égalitarisme
forcené.
Tant que nous continuerons d’enseigner l’économie en même temps que les sciences
sociales, champ extraordinairement vaste, nous continuerons d’effleurer les sujets en dépit
d’énormes efforts demandés aux élèves ainsi qu’aux professeurs et de dissoudre
l’individualité dans la classe sociale, condamnant d’avance le libre-arbitre et donc l’idée
même de personnalité et de responsabilité .
Tant que nous n’abandonnerons pas l’idée que l’État et son multiplicateur keynésien sont les
moteurs de la croissance, nous serons incapables de profiter d’une économie mondialisée.
Tant que nous présenterons l’entreprise comme un lieu de prédation, de financiarisation et
de destruction des ressources, nous créerons des générations d’assistés.
De nombreux pays ont choisi une autre voie : au lieu d’enseigner un mélange douteux de
macro-économie interventionniste et de sociologie, ils familiarisent les élèves avec la
comptabilité d’entreprise, les notions de chiffre d’affaires, de compte de résultat,
d’amortissement, de bilan… Ce qui importe à leurs yeux est de savoir gérer les comptes d’un
ménage, être à l’aise en entreprise et – pourquoi pas – reprendre un jour la menuiserie
familiale ou le magasin du coin de la rue.
On peut expliquer beaucoup de choses à partir des comptes d’une société: la nécessité de
faire du profit, les contraintes de son développement, les leviers de la dette, comment éviter
une faillite, l’importance des impôts et d’un État garant de la liberté d’entreprendre.
Un environnement éducatif et culturel marqué par l’ignorance économique la défiance envers
les entrepreneurs obère les possibilités d’innovation, ralentit inévitablement la croissance
d’un pays et dégrade le niveau de vie de ses habitants qui n’ont finalement plus rien à se
partager.
Xavier Fontanet est ancien chef d’entreprise et professeur de stratégie.
Lisa Kamen-Hirsig est enseignante et chroniqueuse.
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