Dans son discours d’adieux au monde du tennis Roger Federer remercie ses grands concurrents Djokovic et Nadal : « Nousnoussommes pousséslesuns et les autres,et ensemble nous avons porté le tennis à de nouveaux sommets »
Même dans un sport individuel, l’autre est une source inépuisable de développement et de performance qui stimule la confiance.
La confiance est au cœur du bien-être professionnel et du dernière article d’ Engagement et Performance dans le 16e Hors-Série My Happy Job, écrit en collaboration avec Aurelien Rothstein
« Le collectif peut êtreutilisé parles organisations pour stimuler la confiance et activer ainsi tout le potentiel de leur capital humain. »
Découvrez 3 étapes pour la construction d’une culture du collectif en téléchargeant gratuitement l’article du magazine Hors série N°16 sur la confiance, sur le site Myhappyjob.com
Le partage du temps de travail est un magnifique coup marketing politique mais se révèle sur la durée une fausse bonne idée.
Le partage du temps de travail est un magnifique coup de marketing politique mais se révèle sur la durée une fausse bonne idée.
Il a été imaginé il y a une quarantaine d’années par la gauche. Nous en payons lourdement les effets aujourd’hui.
Imparable sur le plan de la communication : être généreux en travaillant moins et en donnant du travail aux autres. C’est ce type de raisonnement qui a conduit à pousser le concept de la retraite à 60 ans : en partant plus tôt à la retraite, on donne du travail aux plus jeunes. Et cerise sur le gâteau, dans cette affaire nous avons tous davantage de temps libre, condition nécessaire pour se réaliser pleinement.
Un bémol à ce tableau idyllique : les résultats tangibles. Depuis que cette vision de la société et du travail s’est répandue et que nous sommes devenus de loin le pays où le temps de travail est le plus bas, nous déclinons régulièrement dans les classements mondiaux de PIB par tête, passant en quarante ans de la 7e à la 33e place. Et notre chômage reste élevé par rapport à celui de nos voisins.
On vous expliquera que le PIB par tête n’est pas une bonne mesure de la prospérité. Il n’empêche qu’il faut regarder les choses en face : en Suisse, en 50 ans le PIB par tête qui était au niveau du nôtre dans les années 1970 est le double aujourd’hui ; fait significatif, le SMIC est à 4000 dollars, le pays affiche un chômage nul, un emploi industriel double et une balance commerciale largement excédentaire.
Eh oui, nous sommes dans une économie ouverte où par la diminution du temps passé à son poste, toutes les mesures ayant pour effet d’augmenter le coût du travail handicapent nos industries manufacturières particulièrement exposées à la concurrence mondiale.
Ramener le goût du travail
Il faut reprendre les choses à la base et ne plus parler de travail mais de métier, d’un métier dont on est fier et que chacun pratique où qu’il se situe, à un niveau d’excellence mondiale.
« Tous champions dans ce que l’on fait » : là réside la source de la compétitivité dans un monde ouvert. Il n’y a pas de petits métiers. Dans les années 1960, le fondateur du Singapour moderne Lee Kuan Yu avait fait de la propreté dans la rue et dans les logements le point de départ de sa politique. Il tenait tous les matins à balayer lui-même 50 mètres de trottoir et donnait des conseils sur le choix des balais et l’art de les manier. C’était une façon de montrer que toute tâche mérite d’être effectuée parfaitement. Il répétait qu’il avait davantage de respect pour un ouvrier pratiquant son métier au meilleur niveau que pour un cadre ou un fonctionnaire médiocre, fut-il très haut placé. Y a-t-il un meilleur moyen pour créer l’unité dans un pays ? Sans compter que lorsque l’excellence devient une valeur de la société, les produits s’améliorent dans tous les domaines, les clients du monde entier ne s’y trompent pas et les ventes explosent.
Quand la dignité de chacun, conférée par l’excellence de ce qu’on produit, devient une valeur plus élevée que l’égalité formelle, l’harmonie se diffuse et la compétitivité ne tarde pas à se traduire en prospérité.
Il faut repenser notre rapport au travail et redire à tous, notamment aux plus jeunes qu’un métier bien pratiqué est passionnant, qu’il permet de prendre des responsabilités, meilleur moyen pour s’épanouir. Quand le travail est bien fait, il est source légitime de fierté. Il est une façon unique de découvrir le monde quand on est porté par le déploiement international de son entreprise.
Enfin, au contact de ses meilleurs concurrents mondiaux on peut ressentir les émotions des champions que nous applaudissons dans les stades. Le travail bien pratiqué n’est ni un enchaînement ni une punition, il peut être la voie la plus efficace pour pleinement s’accomplir en tant qu’être humain.
BFM BUSINESS PARTENAIRE – Ce samedi 18 février, dans le cours n°211, Xavier Fontanet, ancien président d’Essilor, s’est penché sur les pays qui ont fait des vrai réformes, dans l’émission BFM Stratégie présentée par Frédéric Simottel sur BFM Business. Cette émission a été réalisée en partenariat avec Boston Consulting Group.
Veuillez cliquer sur l’image pour aller voir la vidéo sur le site de BFM Stratégie
L’actionnariat est une aide sans pareille à la résolution du problème de la retraite.
Divine surprise que tous ces articles relatant les 100 000 euros perçus en moyenne par les salariés de La Redoute, une magnifique démonstration de la puissance de l’actionnariat salarié. La somme passe très bien dans l’opinion : il y a bien sûr dans ce cas une dimension chance, la mise était faible, c’est arrivé vite mais ça a été aussi un énorme travail et le fruit d’une cohésion exceptionnelle de toutes les équipes. Voilà une juste récompense !
Par contre, on a peu parlé de l’actionnariat salarié chez TotalEnergies sur lequel la foudre médiatique s’est acharnée. Même s’il est très élevé, le profit n’a rien d’exceptionnel si on le ramène au chiffre d’affaires (7 %) et aux capitaux propres (16 %).
Les Français n’ont tout simplement pas réalisé la taille considérable atteinte par leurs champions dont ils devraient avant tout être fiers. Curieusement, personne n’a expliqué que TotalEnergies est une société qui accorde une grosse part à l’actionnariat salarié (7,2 %) et que cela représente 100 000 euros de capital par employé et un dividende de 7000 euros en 2022 ; ce qui rend encore moins acceptable le blocage des raffineries.
Voilà deux bonnes raisons pour évoquer ce dispositif qui pourrait, si chacun en connaissait toutes les facettes, changer les conditions du dialogue social et le rapport de nos compatriotes avec l’entreprise.
La valeur créée par l’entreprise
Il faut d’abord revenir sur le concept de valeur créée par l’entreprise : d’une part la valeur annuelle et d’autre part l’augmentation de la capitalisation de l’entreprise sur la longue durée.
La valeur annuelle créée, soit la différence entre ventes et achats de matières premières, était partagée entre salaires, investissement, impôts et dividendes1. Les ordonnances de 1964 inspirées par le général de Gaulle ont permis à travers l’intéressement et la participation d’associer les salariés à la création annuelle de valeur.
Avec l’actionnariat salarié on est sur une autre dimension. Il s’agit de la participation à la création capitalistique de valeur sur le très long terme grâce aux actions acquises par le personnel.
L’intéressement et la participation sont largement développés : en 2022, 11 millions de personnes ont perçu en moyenne 1700 euros. C’est moins le cas pour l’actionnariat salarié qui n’a percé que dans les très grandes entreprises cotées comme TotalEnergies. L’investissement des salariés dans les affaires cotées est de l’ordre de 50 milliards, soit 3,3 % de la capitalisation, alors qu’il n’est que de 1,5 milliard pour les PME et ETI. Au global on ne parle donc pas de chiffres considérables.
Il y a plusieurs raisons à cela.
D’abord beaucoup de réticences du côté des syndicats qui sont très prudents en la matière et qui considèrent que « le risque c’est pour le patron ! ».
Ensuite, jusqu’à un passé récent le marché financier ne lui était pas non plus favorable craignant que la présence d’administrateur salarié ne freine les restructurations même dans le cas où celles-ci étaient nécessaires.
Enfin du côté des entreprises familiales les arguments sont d’un autre ordre et d’ailleurs tout à fait respectables : les familles considèrent que ce sont elles qui doivent porter l’ensemble des risques, craignant que les employés soient perturbés s’ils savent qu’ils le portent eux aussi.
Ce qui a changé depuis quelque temps c’est que grâce au marché boursier, il est avéré que les entreprises à fort actionnariat salarié ont des performances meilleures que la moyenne. Le private equity ne s’y est d’ailleurs pas trompé et c’est lui qui en est aujourd’hui le premier pourvoyeur.
Si on veut le développer dans les PME/ETI il y aurait intérêt à s’intéresser à ce qui se passe aux États-Unis et leur plan 4O1(k). Il s’agit d’un fonds diversifié dans lequel les salariés investissent en respectant une condition : les actions de leur entreprise ne peuvent pas dépasser 50 %. Cette formule est confortable pour les familles qui restent maîtres du temps, elle atténue le problème du risque et permet au personnel disposant de la liquidité disponible dans le fonds soit de racheter les actions des familles quand celles-ci décident de vendre, soit de participer aux augmentations de capital si l’entreprise vient à en lever.
L’actionnariat salarié, réponse au problème de la retraite et changement de la relation au travail
L’actionnariat salarié est de toute évidence ce qu’il faut pousser aujourd’hui. Il est la prolongation naturelle de l’intéressement et de la participation ; à la différence qu’il est un investissement risqué, il ne faut pas le cacher. Y adhérer doit donc être une décision personnelle qui ne peut en aucun cas être forcée par la loi.
On peut réduire le risque en organisant un système de décote et d’abonnement mais on ne l’annulera jamais totalement. La façon la plus efficace de le développer c’est de baisser la fiscalité de la vente des actions détenues plus de 25 ans, l’expérience montrant que les salariés gardent longtemps leurs actions. C’est une façon élégante d’encourager le capitalisme patient nécessaire à l’élaboration de stratégies puissantes et qui redorera l’image fiscale de notre pays.
L’actionnariat est une aide sans pareille à la résolution du problème de la retraite.
Faites vous-même le calcul !
Un collaborateur investit régulièrement 5 % de son salaire. Si ce salaire est abondé de 50 % et si la rentabilité sur longue durée se situe à 4 % (la bourse c’est 6 %) après 45 ans de travail le collaborateur aura constitué un capital qui augmentera sa retraite d’au moins 50 %.
On parle alors d’un changement de société ! Quand les salariés actionnaires deviennent… actionnaires salariés c’est-à-dire quand leur investissement dans l’entreprise représente une part importante de ce qu’ils possèdent, ils appréhendent toutes les dimensions de l’entreprise, non seulement l’aspect opérationnel par l’intéressement mais aussi sa dimension stratégique par la montée de la valeur de leur investissement. Et ce d’autant plus qu’en mettant ensemble leurs actions ils peuvent prétendre à des postes au conseil d’administration et participer de plain-pied aux décisions et à la gouvernance. On peut alors s’attendre à un changement fondamental de la relation au travail.
C’est pour cela qu’en mettant en lumière toutes les vertus d’une formule que notre pays ferait bien de développer, cette affaire de La Redoute est à classer comme une excellente nouvelle à partager sans modération !
En 2021 de la façon suivante : 61 % allaient aux salariés, 17 % à l’investissement, 16 % à l’État sous forme d’impôts et 6 % aux actionnaires
Pour sortir de l’opposition entre actionnaires et salariés, l’ex-PDG du groupe Essilor propose de renforcer la participation et l’association au sein des entreprises.
Le débat sur le partage de la valeur a toujours passionné les Français et reprend vigueur en ce moment. Il est trop souvent présenté comme une opposition entre des actionnaires avides et des salariés sacrifiés. Ce n’est pas une vision juste, les chiffres montrant que la part des salaires dans la valeur ajoutée est stable et que celle-ci est, en France, parmi les plus élevées au monde.
Apprenons donc à bien regarder les faits et réfléchissons aux moyens de créer une relation harmonieuse et bénéfique entre l’entreprise et ses collaborateurs. La dernière initiative significative est venue du général de Gaulle avec ses ordonnances de 1967 sur la participation.
Le progrès à faire aujourd’hui en matière de partage de valeur, c’est de passer à un ordre supérieur, faire participer le personnel, non plus seulement au résultat que dégage chaque année l’entreprise, mais à l’augmentation de sa capitalisation.
Il est clair que les marchés financiers ont une croissance plus élevée que l’économie. L’indice le plus ancien, le Dow Jones, a connu une croissance de 4,5% l’an sur plus de deux cents ans quand celle de l’économie était, en ordre de grandeur, moitié moindre. Et ceci bien qu’on ait traversé des guerres et plusieurs crises graves. Même constatation avec notre CAC 40 sur une plus courte période.
Si on souhaite aujourd’hui associer les citoyens français à cette croissancede la valeur, le moyen le plus efficace est de renforcer l’actionnariat salarié là où il existe, et de le favoriser là où il n’existe pas. L’effet ne sera pas instantané maisse construira sur la durée, à condition que les collaborateurs gardent leurs actions: l’idée de cette réforme n’est pas un coup de pouce au pouvoir d’achat, mais la constitution d’une épargne sur le long terme.
L’actionnariat salarié inquiète certains politiciens et certains syndicats arguant qu’il y a un risque: «On ne peut pas pousser une formule qui peut amener des collaborateurs, à perdre à la fois leur métier et leurs économies.»
Le risque existe, c’est vrai, mais c’est cette prise de risque assumée qui ennoblit et justifie le profit. L’actionnariat salarié doit donc être le résultat d’un choix personnel. Il ne faut pas en vouloir à ceux qui ne veulent pas prendre de risque, c’est leur décision… mais il ne faut qu’ils viennent se plaindre s’ils sont passés à côté d’une création de valeur significative.
Dès que la détention dépasse vingt ans, on pourrait suggérer un taux de 20 %
Une formule réduisant le risque a été trouvée par les Américains chez qui les employés investissent dans les actions de leur entreprise mais aussi dans un fond diversifié, sachant que la part consacrée aux actions de l’entreprise ne peut pas excéder 50% du total.
Autre approche, dans le cas des entreprises cotées, on peut abonder les sommes investies par le salarié et proposer une décote sur l’action. Si chaque euro investi est doublé par abondement et si l’action peut être achetée 25% sous le cours, 1 euro en produit 2,5: on peut dire que le risque est couvert. Une bonne raison pour laquelle ces deux dispositifs doivent être maintenus.
On a en France une longue expérience de l’actionnariat salarié qui fonctionne depuis une cinquantaine d’années dans de grandes entreprises cotées (50 milliards investis). Il est démontré que les entreprises à fort actionnariat salarié sont plus rentables que les autres!
Là où le bât blesse, c’est dans les PME où il est faible (1,5 milliard). Il monte néanmoins rapidement grâce aux entreprises de Private Equity qui associent de plus en plus, le personnel au capital dans leurs opérations à la fois car c’est juste mais aussi parce qu’ils ont bien vu la motivation du personnel que cette politique d’association provoquait.
Pour prendre conscience de la fécondité de l’idée de l’actionnariat salarié, il faut faire soi-même le calcul avec un tableur. Le capital moyen d’un ménage est en France de 280.000 euros. Le revenu moyen mensuel du même ménage est de 2 340 euros, soit 28.000 euros annuels. Si on épargne 7% de son salaire chaque année, sous forme d’actionnariat salarié, on aura cumulé après quarante-cinq ans de travail… 280.000 euros. Pour une rentabilité du capital de 4 % (le CAC fait 6 % depuis sa création). Inutile de dire que la retraite dudit ménage aura une tout autre allure, elle peut quasiment doubler!
Au-delà de cette coïncidence, il y a une dimension existentielle dans cette affaire: le collaborateur passe d’un statut de salarié actionnaire à celui d’actionnaire salarié (son investissement dans l’entreprise représentant, à sa retraite, 50 % de ses biens). Sur la longue durée, la relation entre les citoyens et les entreprises peut en être profondément changée.
D’une pierre deux coups
C’est là que le législateur pourrait innover et récompenser ce capital fidèle en baissant très significativement la fiscalité sur la plus-value. Dès que la détention dépasse vingt ans, on pourrait suggérer un taux de 20%. Notre pays pourrait ainsi faire d’une pierre deux coups: il apporterait un levier puissant au financement des retraites et donnerait de la France l’image d’un pays qui récompense le capitalisme patient.
Autre dimension essentielle: la participation à la gouvernance. Si l’ensemble des salariés regroupent leurs actions, ils vont au bout d’un certain temps en avoir suffisamment pour justifier la demande d’un poste au conseil d’administration. Ce poste, accordé au titre de l’actionnariat, permettra au personnel de participer aux décisions, il aura plus de valeur symbolique que ceux qui lui ont déjà été octroyés par la loi… parce qu’il aura été payé. La participation à la gouvernance crée un «affectio societatis».
Il ne faut pas oublier la fonction publique ; une façon simple de le faire est d’élargir le bénéfice de la Préfon, système de retraite, à base de capitalisation, réservé à la haute fonction publique. Celle-ci fonctionne depuis des dizaines d’années et pourrait être offerte à l’ensemble du personnel tout en étant investie majoritairement… dans le CAC 40!
De grands pays ont perçu l’intérêt à associer le personnel au capital des entreprises: les États-Unis, le Canada et l’Angleterre organisent en ce moment des campagnes visant à encourager l’actionnariat salarié. Personne n’a le droit de dire ce qu’aurait fait le général de Gaulle s’il était vivant. Mais plus on étudie le sujet, plus il paraît évident qu’il aurait vu dans son accélération le prolongement naturel des ordonnances de 1967.
Interview de Ronan Planchon paru dans le Figaro le 24/10/2022
ENTRETIEN – La pénurie de soudeurs dans les centrales nucléaires françaises témoigne des carences de notre système, qui ne valorise que les métiers intellectuels, argumente l’ex-PDG du groupe Essilor.
LE FIGARO. – En manque de main-d’œuvre, le groupe EDF a fait venir une centaine de soudeurs de la société américaine Westinghouse pour intervenir sur ses problèmes de corrosion. Comment en sommes-nous arrivés là?
Xavier FONTANET. – On comprend la réaction d’EDF quand on sait ce que coûte chaque mois de retard de fonctionnement d’une centrale nucléaire. Mais, si nous en sommes arrivés là, c’est pour deux raisons. D’abord, à cause de la décision européenne de couper les métiers de l’électricité en trois (la production, la distribution longue distance et la distribution finale) pour favoriser la concurrence, EDF a dû subventionner l’entrée de concurrents en production (éolien et solaire) et en distribution locale, en leur vendant sa production à prix cassés.
Ensuite, l’État, qui est au capital de l’entreprise, a sacrifié la stratégie nucléaire d’EDF pour obtenir les voix des écologistes. On l’a vu avec l’arrêt de la centrale nucléaire de Fessenheim. L’entreprise n’a pas investi dans des équipes françaises d’entretien des centrales nucléaires et la fine fleur des détenteurs de notre savoir-faire, qui existe, s’est envolée en Finlande et en Angleterre pour travailler sur deux gros chantiers d’export. Aujourd’hui, on semble avoir compris que le nucléaire est incontournable, mais le chemin est encore long pour rattraper les erreurs passées.
À court terme, nous devons faire face à un manque de plombiers et de soudeurs. Pour régler ce problème, il faut revenir aux bases de notre système éducatif, qui favorise la filière dite générale (où les disciplines enseignées sont abstraites) au détriment de la filière technique (où on apprend à manier des outils et travailler la matière).
En dévalorisant les filières techniques, courtes, notre système éducatif a-t-il créé une nouvelle aristocratie fondée sur les diplômes?
En tout cas, fondée sur les diplômes de filière générale. Nous vivons en France avec une idée fausse selon laquelle tout se joue à 20 ans, lors de certains examens prestigieux. Tout le monde sait que ce n’est pas parce qu’on a réussi un examen, fût-il prestigieux, qu’on est capable toute sa vie de prendre les bonnes décisions. Napoléon disait que les batailles faisaient les généraux.
Confier au seul diplôme le fait de diriger une carrière est un coup de frein à l’ascenseur social. Le philosophe Michael Sandel a écrit un livre passionnant sur la tyrannie résultant de la place excessive donnée aux diplômes aux États-Unis. Il y voit l’explication de la frustration de la classe moyenne américaine qui vit (mal) des métiers d’ouvriers et des métiers manuels. C’est une des raisons du succès de Trump, qui a réussi à fédérer cette frustration. Ce problème ne se limite donc pas à la France.
La dévaluation académique a-t-elle nivelé vers le bas nos «élites»?
On peut même parler de «pseudo»-élite. Il faut des philosophes et des sociologues bien formés, mais il ne faut pas que leur nombre soit en décalage avec les besoins de la société, ce qui est le cas actuellement. Voilà pourquoi il est urgent de faire évoluer notre système éducatif afin qu’il soit capable de développer dans notre société le concept d’intelligence de la main.
Comment redonner aux enseignements techniques la place qu’ils méritent?
Il faut d’abord changer les mentalités. Nous sommes un peuple qui aime les idées plus que la matière ; pour faire aimer les métiers manuels, inspirons-nous par exemple du Japon et de la philosophie de la vie pratiquée sur l’île d’Okinawa (l’ikigai). On accorde dans cette région beaucoup plus d’importance à un ouvrier qui réalise une belle pièce avec sa machine-outil qu’à un bureaucrate qui produit des circulaires obscures, fut-il très haut placé. La qualité de ce qu’on produit compte beaucoup plus que la nature du travail.
Un métier en apparence simple, quand il est pratiqué à un niveau de technicité élevé, permet à des ingénieurs sortis de « petites écoles » d’interagir avec les chercheurs parmi les plus prestigieux »
J’ai notamment travaillé au sein du groupe Essilor, numéro un mondial de l’optique ophtalmique. Cette entreprise produit 1 milliard de verres par an et dépose, sur chacun d’entre eux, plusieurs couches minces pour les durcir, éviter les reflets inesthétiques ou néfastes pour la santé. On parle de plusieurs milliards de couches de vernis déposées par an ; les machines qui font le travail sont conçues par l’entreprise et se révèlent de petites merveilles qui vont jusqu’à défier la science. Des professeurs du MIT (université de technologie du Massachusetts, NDLR) faisaient le déplacement jusqu’en France pour comprendre comment nous avions conçu les pinces qui tenaient les verres et permettaient d’avoir des vernis parfaits sans les effets de bord. Cette anecdote montre qu’un métier en apparence simple, quand il est pratiqué à un niveau de technicité élevé, permet à des ingénieurs sortis de «petites écoles» d’interagir avec les chercheurs parmi les plus prestigieux.
En somme, il s’agit d’expliquer que la technique permet de faire appel à tous les ressorts de l’intelligence et d’élever la filière technique au niveau de la filière générale…
Il faut bousculer notre système, dans lequel la filière technique est une punition donnée à ceux qui ont échoué dans la filière générale. Il faut orienter les élèves plus tôt, comme on le fait en Suisse, aux Pays-Bas et en Allemagne et être bien conscient qu’en Suisse (dont le PIB par tête est 2,5 fois supérieur au nôtre) les deux tiers des jeunes choisissent la filière technologique, c’est-à-dire l’apprentissage. L’entrée dans la vie par la technique n’y est pas le résultat d’un échec dans la filière générale, mais un choix délibéré fait à 12 ans. Beaucoup de ceux qui ont une formation initiale technique s’intéresseront à la dimension conceptuelle ou scientifique plus tard. En Suisse, les va-et-vient entre filière générale et filière technique sont systématiquement facilités.
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Les Suisses ne consacrent aujourd’hui pour leur retraite que 7,5 % de leur PIB (grâce notamment au recours à la capitalisation), mais malgré cette marge de manœuvre, ils préfèrent allonger encore leur durée de travail.
Un sondage (Smartvote) fait en Suisse, le 19 août 2019, révèle que la majorité des candidats à la députation est en faveur d’un recul de l’âge de la retraite à… 67 ans. Impensable ici.
Pourtant, s’il y a une chose à expliquer dans cette période de consultation sur la loi retraite, c’est comment s’en tirer, chez nous, sans bouger significativement l’âge de la retraite ni augmenter la durée de cotisation ?
Surcharge pour les entreprises
Rappelons quelques faits.
En 1983, quand Mitterrand a lancé l’idée de la retraite à 60 ans, il y avait quatre cotisants pour un retraité et l’espérance de vie était de 72 ans, soit 12 ans de retraite en moyenne. Aujourd’hui l’espérance de vie est de 84 ans, ce qui fait 22 ans de retraite. Et il n’y a plus que 1,7 cotisant par retraité. En 36 ans, la durée de retraite a été augmentée de 83 % et le pourcentage de ceux qui cotisent réduit de 57 %.
On en a remis une couche avec les 35 heures, qui reviennent à annihiler au moins quatre ans de cotisation. Pour faire simple, le ratio cotisants-retraités a été divisé par cinq. On a certes doublé la part du PIB consacrée aux retraites à 13,8 % (sous Mitterrand le ratio était d’environ 7 %), mais au prix d’une surcharge accrue pour nos entreprises. Il y a aussi eu des gains de productivité, mais la situation n’est absolument pas tenable.
Les Suisses ne consacrent aujourd’hui pour leur retraite que 7,5 % de leur PIB (grâce notamment au recours à la capitalisation), mais malgré cette marge de manœuvre, ils préfèrent allonger encore leur durée de travail. On dira : « Ils sont différents ! » Regardons alors nos autres voisins : le départ à la retraite se situe partout entre 65 et 67 ans. Si partir à 67 ans est un argument électoral de l’autre côté de la frontière, est-ce parce que le chocolat qu’ils consomment leur dérègle l’esprit ou parce que devant les faits ils sont, contrairement à nous, humbles et capables de se remettre en question ?
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Le monde bouge : dans ces circonstances, il faut soi-même faire preuve d’ouverture d’esprit, être prêt à changer ses habitudes, se déplacer s’il le faut, se former et faire confiance à sa propre capacité d’adaptation.
Êtes-vous capable de citer un seul domaine qui ne va pas être profondément transformé dans les années à venir ?
L’aviation… Allons-nous voyager partout dans le monde comme nous l’avons fait depuis 20 ans ou la montée d’Internet et le développement des vidéoconférences utilisant le Wi-Fi vont permettre de réduire les déplacements, les constructeurs d’avion devant alors se lancer dans les satellites et les lanceurs ?
Il y a moins d’inconnues sur la volumétrie du marché de l’automobile, mais celle-ci affronte le challenge gigantesque du passage à l’électrique.
Les opérateurs téléphoniques vont-ils continuer à bénéficier de l’explosion de la communication évoquée ou vont-ils se faire cannibaliser par les Gafa et leurs réseaux de câbles et de satellites qu’ils déploient partout dans le monde ?
L’industrie va devoir évoluer, elle aussi, pour réduire sa ponction sur les ressources non renouvelables en repensant l’architecture de ses produits et en montant des systèmes de recyclage venant se substituer aux mines. Les producteurs d’énergie sont ceux qui ont plus de pain sur la planche étant les gros contributeurs en émissions de CO2. Les mondes de l’urbanisme et du BTP doivent, eux aussi, se réinventer pour faire des habitations parfaitement isolées et revoir la conception des villes pour les rendre moins consommatrices de déplacements.
« L’agriculture ? Nous aurons toujours besoin de manger, donc voilà enfin un point d’ancrage ! » Certes, sauf qu’il va falloir se passer des engrais chimiques et de tout le phytosanitaire en utilisant des engrais naturels issus de la méthanisation pour restaurer les sols fatigués et probablement revoir les équilibres entre cultivateurs, maraichers et éleveurs.
Les Gafa : voilà au moins un secteur encore en croissance ! Oui, sauf que ce n’est pas si sûr parce qu’elles ont déjà capturé plus des deux tiers de l’ensemble des dépenses publicitaires (leur carburant). Leur forte croissance organique est donc probablement derrière. Ne nous faisons pas de souci pour elles, elles vont continuer à croître et entrer dans de nouveaux secteurs qu’elles vont complètement bousculer : le financier, l’entertainment, la santé pour n’en citer que quelques-uns.
« Attendez ! le service, le gros de l’économie, est protégé il est local par opposition à l’industrie qui est mondiale ! » Est-ce si sûr ? Avec toutes les nouvelles technologies du net, lui aussi va subir les chocs profonds des nouvelles activités numériques.
Que faire ?
Quand tout bouge partout et dans de telles proportions, que faire ?
Centraliser les décisions entre les mains de génies hyper informés qui dicteront ce qu’il faut faire… on connaît la fameuse phrase de Mussolini « Plus la situation est compliquée plus il faut restreindre les libertés » ou au contraire prendre son inspiration auprès de Hayek et décentraliser les décisions pour les confier à ceux qui sont proches du terrain et bien mieux à même de faire les bons choix ? On parle implicitement des 50 millions d’entreprises actives dans le monde qui représentent, quoiqu’on raconte, le gros du PIB et de la puissance créatrice.
C’est toute la problématique de l’équilibre entre l’État et la société civile.
La période qui s’ouvre va-t-elle être une occasion pour l’État de libérer les forces de la société civile pour se concentrer sur le régalien et renforcer le domaine militaire ? Ou la crise va-t-elle être pour lui une occasion de développer son périmètre dans des domaines détenus par la sphère privée (nationalisation d’EDF) ? C’est la problématique de toute société : elle a besoin d’un État fort, ce n’est pas contestable, certains parlent même d’un Léviathan qui détient le monopole de la violence pour assurer les libertés de chacun. Ceci dit, ce Léviathan doit lui-même être maîtrisé par des contre-pouvoirs ou des normes intangibles pour ne pas prendre le contrôle de la société tout entière.
Ce qui se passe en Ukraine va avoir une influence considérable sur ces équilibres, mais rien n’est arrêté dans cette affaire qui concerne le monde entier. On verra certainement un spectre varié dans les solutions adoptées.
Pour éclairer la réflexion, il faut évoquer un mécanisme économique dont on ne parle pas assez qui est la constance du rapport entre l’activité et l’investissement.
Ce mécanisme est à l’œuvre actuellement et donne un formidable jeu de jambes à la sphère privée. Les entreprises nouvelles qui se substituent aux anciennes ont de très fortes croissances et donc des cash flows négatifs. Ceux-ci sont tout naturellement financés par celles qui décroissent (car elles sont substituées) mais ont des résultats bien plus élevés que leurs investissements.
Les deux flux s’équilibrent, c’est là qu’est le mécanisme merveilleux qui finance naturellement les transformations les plus radicales ! C’est lui aussi qui explique la formidable tenue actuelle des affaires du CAC 40 et sa capacité à affronter un monde mouvant qui nous attend. Encore faut-il que les États ne le perturbent pas par des fiscalités déraisonnables. Nos entreprises sont plus solides qu’on ne le pense, elle sont un des piliers de la société sur lequel on va pouvoir se reposer dans les temps qui viennent.
Des raisons d’espérer
Finalement, en prenant un peu de recul, quoi qu’on dise et au-delà des décès déplorés, la crise liée au covid a été bien négociée vu le choc effrayant qu’a subi l’économie suite à ce virus né en Chine. Sphère privée et sphère publique ont bien travaillé ensemble. Le déferlement géographique de l’épidémie démontre de façon concrète à quel point la mondialisation est devenue une réalité incontournable sur laquelle on ne peut pas revenir.
L’Europe, elle non plus, ne s’est pas si mal débrouillée, c’est elle qui a trouvé les vaccins qui ont sauvé la planète. N’oublions pas qu’il s’agit du prolongement heureux des intuitions géniales de Pasteur. Ces nouvelles technologies fondées sur l’ARN vont permettre de s’attaquer à de très nombreuses maladies et marquer un progrès considérable dans la connaissance de l’architecture de l’être humain. Comme quoi une vraie invention a souvent un champ d’application plus vaste que ce qui était prévu. Autre leçon, ce sont souvent les temps difficiles qui provoquent les créations.
La fusion nucléaire pointe le nez plus tôt que prévu, elle permettrait de régler les problèmes posés par l’extinction finalement assez proche des énergies fossiles. Là encore c’est l’Europe qui a été à l’origine de ces découvertes et ce grâce au choc (organisé au début du siècle dernier par Solvay) des intelligences allemandes (Hilbert), françaises (de Broglie), suisses (Einstein), italiennes (Tesla), anglaises (Rutherford), danoises (Bohr), autrichiennes (Schroedinger) en en oubliant bien d’autres.
ARN, fusion nucléaire, Europe, même si certains la critiquent, a du ressort, on peut s’appuyer sur elle, il faut continuer à la construire.
Dans un tel environnement, que doit faire chacun de nous, personnellement ?
D’abord comprendre que le monde bouge comme peut-être jamais et que dans ces circonstances il faut soi-même faire preuve d’ouverture d’esprit, être prêt à changer ses habitudes, se déplacer s’il le faut, se former et faire confiance à sa propre capacité d’adaptation.
Faire confiance
Confiance… ce qui va donc faire la différence, c’est la capacité d’installer un climat de confiance. La confiance est à la fois un mystère difficile à caractériser, et un miracle parce qu’elle existe. Quand elle s’installe, elle est capable de choses merveilleuses. Elle est multidimensionnelle. C’est à la fois la confiance que doit avoir en lui chaque membre de la société où qu’il soit placé. C’est s’assumer, une affaire de dignité.
La confiance c’est ensuite la confiance dans l’autre : nous sommes des individus, mais nous sommes plongés dans une société et avons besoin les uns des autres car aucun de nous n’a tous les talents. C’est enfin la confiance dans la stratégie, parce que des personnes intelligentes ne se mobilisent que quand l’axe donné est le bon (c’est pour cela d’ailleurs que le Français est si difficile à manager).
C’est pour ces raisons qu’il faut absolument se replonger dans l’œuvre d’Alain Peyrefitte, grand compagnon du général de Gaulle, qui a découvert l’économie à la fin de sa vie, une économie vue avec le regard de quelqu’un ayant passé sa vie dans la politique. Le point central de sa pensée, c’est que travail et capital sont deux pierres angulaires de l’économie, mais il en existe une troisième : le facteur psychologique qui anime les acteurs et qui s’appelle confiance.
Alain Peyrefitte a analysé les moments magiques dans lesquels certaines sociétés se sont mises en mouvement alors que leur voisins n’évoluaient pas ou moins : les Pays-Bas au XVIIe siècle, l’Angleterre au XVIIIe, le Japon au XIXe, périodes où l’environnement n’était pas facile. Il a décortiqué les mécanismes qui ont fait qu’à un moment donné, les pays se sont réformés, ont mis en place de nouveaux process et se sont mis à créer de la richesse dans une ambiance harmonieuse où sphère privée et publique travaillaient de concert et où tout le monde s’y retrouvait.
Ces livres sont bien sûr des livres sur la confiance mais plus fondamentalement sur la transformation dans des environnement durs. La société de confiance et Du miracle en économie n’ont pas pris une ride. Chacun de nous doit impérativement les lire et les faire lire à ses proches. Si tous les Européens pouvaient s’imprégner de ces idées, on peut parier que l’Europe (car il faut raisonner Europe) va traverser dans de bonnes conditions cette période qui sera certes perturbée, mais aussi pleine d’opportunités.
Nous avons rencontré Xavier Fontanet, chef d’entreprise aujourd’hui retraité. Tout au long de sa carrière, il a dirigé des entreprises, et a notamment été le patron du groupe Essilor pendant plus de 20 ans.
Il est depuis 2012 professeur associé de stratégie à HEC Paris. Il a également publié des ouvrages sur ses expériences de dirigeant et ses réflexions sur l’entrepreneuriat.
État, privatisations, retraites, système de santé, économie, subventions, aides sociales et travail…retrouvez son analyse de la situation économique actuelle en France, au travers de son regard d’ancien dirigeant de grandes entreprises.
Xavier Fontanet apporte également des éclairages forts intéressants de par sa connaissance du fonctionnement économique et social d’autres pays du monde. Sa comparaison en certains points avec la France est édifiante…
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